· 

Apprendre à apprendre : le travail personnel dans et hors la classe, approche introductive (1/3)

Une inégale appropriation des attendus de l'École

De nombreux enseignants, quelque soit le profil de leurs élèves (qu'il s'agisse du profil social et/ou scolaire), constatent que "mes élèves ne travaillent pas". Les bulletins scolaires regorgent d'appréciations du type "X doit approfondir son travail", pointant particulièrement le travail personnel hors de la classe.

 

Il existe de nombreux blocages pour les élèves concernant le travail personnel hors de la classe, et tout particulièrement :

  • une incompréhension des attendus,
  • une incompréhension, une inadéquation ou une absence de maîtrise des procédures à employer,
  • une accumulation des lacunes face aux connaissances et méthodes nécessaires pour entrer dans les apprentissages.

Ces deux blocages creusent les inégalités scolaires. En effet, lorsque l'on mène des entretiens avec les élèves, ces derniers soulignent avoir, en très grande majorité, expérimenté l'effet "j'ai beaucoup travaillé telle évaluation et ai été déçu(e) de mon résultat" (sans nécessairement que ce résultat soit catastrophique, il est vécu par les élèves comme en inadéquation avec leur investissement).

 

Enfin, du côté des familles, l'accompagnement de la scolarité est lui aussi inégal, car les familles disposent d'un capital culturel différent face aux attentes de l'École. La très grande majorité des familles encourage et accompagne les élèves ; néanmoins, pour beaucoup d'entre elles, l'encouragement de type "travaille bien à l'École" s'accompagne d'une impossibilité à expliquer à l'élève comment "bien travailler" à l'École, ce qui se traduit pour de nombreuses familles par une demande de type "sois sage", mais sans pouvoir expliquer comment entrer dans les apprentissages.

 

Ces inégalités sont bien connues et fort documentées. Il ne s'agit pas ici de les démontrer. Les enseignants les connaissent tant elles traversent leur quotidien et se traduisent, en classe, par une forte hétérogénéité des élèves dans leur appropriation des attendus et des savoir-faire de l'École.

 

Le travail personnel de l'élève : lever les malentendus

L'un des malentendus entre l'École et les familles relève de ce qu'est le "travail personnel de l'élève", ou plus précisément des lieux et des temps où celui-ci se déploie. Alors qu'il est souvent réduit aux devoirs à la maison (voir le Dossier de veille de l'Ifé n°111 : "Représentations et enjeux du travail personnel de l'élève", juin 2016), le travail personnel de l'élève commence dans la classe, et c'est même là qu'il est le plus conséquent. Parmi les nombreuses recherches et ressources sur cette question (André Tricot, Joëlle Proust, etc.), le dossier "Travail personnel de l'élève et apprentissages dans et hors la classe" de l'Ifé (Institut français de l'éducation) soulève bien cette interaction fondamentale entre ce qui est fait dans la classe et hors la classe, insistant sur les écarts mesurés entre ce qui se fait en classe, ce qui est attendu par l'enseignant et ce qu'en comprend et restitue l'élève hors de la classe (voir notamment les vidéos montrant Maëlys, une élève de 6e, en classe et hors la classe). De même, le dossier "Enseigner plus explicitement : pour quoi ? qui ? quand ? quoi ? comment ? où ?" de l'Ifé rappelle l'impact des sous-entendus et des malentendus dans les apprentissages, notamment en terme de transmission des procédures permettant aux élèves d'apprendre efficacement. Sans multiplier les références, on peut citer de nombreux dispositifs qui visent à améliorer le travail personnel dans et hors la classe : ATOLE/ADOLE, Apprenance dans l'académie de Grenoble, les outils "formation pour les élèves" de l'équipe pilotée par Jean-Luc Berthier autour des sciences cognitives, etc.

 

Ces malentendus entre travail personnel de l'élève (qui implique "l'ensemble des processus mobilisés de façon autonome et personnelle par l’élève pour s’approprier les objets d’enseignement (connaissances et compétences)" d'après Marc Prouchet) et devoirs maisons (qui ne sont qu'une partie du travail personnel) amènent souvent des malentendus entre enseignants et élèves, élèves et familles, enseignants et familles. Ces malentendus se lisent notamment à travers les appréciations (dans les copies, et plus encore les bulletins) : "manque de travail personnel", "X doit approfondir son travail personnel", etc. Ce type de remarques rédigées dans le but de conseiller peut rapidement devenir "hors sol" pour les élèves et leurs familles, c'est-à-dire qu'ils ne savent pas comment améliorer ce point.

 

Pour prendre la mesure de ces écarts entre les attendus des enseignants et la compréhension des procédures pour parvenir à ces attendus par les élèves (et leurs familles), voici un chiffre révélateur sur plus de 1100 élèves interrogés au collège Michel Servet (Annemasse, Haute-Savoie) lors des présentations du dispositif "Apprendre à apprendre", plus de 95 % ont répondu "oui" à la question "t'est-il déjà arrivé de beaucoup travailler une évaluation et d'être déçu(e) de ta note/compétence ?". Si les élèves de 6e étaient moins nombreux à répondre "oui", les élèves de cycle 4 répondaient ainsi de manière quasi unanime (voire de manière totalement unanime pour certaines classes). Dans une grande partie des cas, ce constat, s'il a été vécu de manière répétée, avait des impacts négatifs concrets sur la motivation et l'engagement scolaires.

 

Ainsi, la motivation et l'engagement scolaires se trouvent directement confrontés à ces écarts entre les attendus scolaires et la maîtrise par les élèves des procédures pour parvenir à les atteindre. Quelques constats (de manière non exhaustive) :

  • l'erreur reste, pour beaucoup d'élèves, associée à un échec, et non à une étape du processus d'apprentissage (malgré un travail important, dans toute leur scolarité, fait par leurs enseignants sur le statut de l'erreur),
  • les élèves ne possèdent pas de manière innée les procédures pour apprendre efficacement, plus encore hors la classe, et ces procédures sont lentes à acquérir car elles demandent aux élèves une autonomie et une conceptualisation avancées (en témoignent le nombre de modules proposés aux étudiants post-baccalauréat, notamment dans le monde parascolaire, sur l'apprendre à apprendre),
  • de nombreux élèves ont une approche erronée du fonctionnement du cerveau, et certains ont une approche fixiste de l'intelligence (en pensant, par exemple, "je suis nul(le) / je suis bête") qui entrave leurs apprentissages,
  • de nombreux élèves ne possèdent pas certains prérequis qui les empêchent d'entrer dans les apprentissages en cours (par exemple, un élève qui ne sait pas présenter, décrire et expliquer un document ne pourra pas appréhender la consigne "analyser un document" qui présuppose de connaître, maîtriser et différencier les trois savoir-faire précédents),
  • de nombreux élèves ne perçoivent pas le sens des apprentissages, ce qui a des impacts négatifs sur leur motivation scolaire (qui s'accentuent à fur et à mesure que les élèves grandissent et les éloignent de plus en plus de leurs apprentissages),
  • pour de nombreux élèves, il y a confusion entre le "faire la tâche" et le "apprendre par la tâche" : ainsi, de nombreux élèves ont une attitude scolaire positive en classe, ils sont dans la tâche, ils ne posent pas de problèmes d'écarts en termes de comportement au sein de la classe ; pour autant, ils n'ont pas compris ce qu'ils faisaient (parmi d'autres, l'exemple d'Amidou étudié par Stéphane Bonnéry est éloquent sur cet écart).

Les enseignants déploient de nombreux outils, de nombreuses procédures, de nombreuses méthodes pour aider les élèves dans leur travail personnel dans et hors la classe (pour n'en citer que quelques-uns : fiches-méthodes, plans de travail / feuilles de route, accompagnement personnalisé, tables d'appui, tables d'aide, explicitation, fiches coup de pouce dans les activités, etc.). Néanmoins, l'efficacité pour réduire les difficultés des élèves et les effets des écarts entre attendus scolaires et appréhension des savoirs scolaires par les élèves ne peut se faire qu'à l'échelle de la classe : cette efficacité doit se trouver dans la mise en place d'une culture commune à l'échelle d'un établissement, et donc "pouvoir répondre efficacement dans la mesure des ressources disponibles face aux difficultés des élèves demande un pilotage. Il impose également un diagnostic qui a tout intérêt à être réalisé le plus tôt possible, car les actions préventives permettent souvent d’agir avant que la situation ne s’accentue" (Didier Goudeseune, "Pourquoi certains élèves rencontrent-ils des difficultés à l’école et comment y répondre ?", Par temps clair, 2 avril 2022). Cette culture commune passe à la fois par des outils communs, des rituels communs, un vocabulaire commun, etc. (par exemple, de nombreux établissements scolaires se dotent d'une "charte du travail personnel de l'élève" afin de formaliser les modalités de cette culture commune, qui permet d'expliciter aux élèves et aux familles les attendus en termes de travail personnel de l'élève dans et hors la classe).

 

Les devoirs à la maison, traducteurs sociaux de l'angoisse (source : Institut français de l'éducation IFÉ)
Les devoirs à la maison, traducteurs sociaux de l'angoisse (source : Institut français de l'éducation IFÉ)
Les devoirs à la maison, traducteurs sociaux de l'angoisse (source : Institut français de l'éducation IFÉ)
Les devoirs à la maison, traducteurs sociaux de l'angoisse (source : Institut français de l'éducation IFÉ)

"Les discours des acteurs produisent implicitement l’idée d’un équivalent quantitatif entre un temps passé ou une quantité d’activités studieuses et les résultats scolaires. L’élève qui estime avoir « travaillé dur » et ne voit pas ses efforts récompensés peut se décourager voire ressentir un sentiment d’injustice pouvant aboutir à un rejet de l’école. Ce sentiment d’injustice est renforcé par le fait que les enseignants eux-mêmes ne perçoivent pas toujours les efforts accomplis par les élèves. Qu’un travail formellement important (temps passé à lire des leçons, nombre de pages remplies, manipulations de tablettes, pages recopiées, etc.) puisse s’avérer peu productif et ne pas déboucher sur des apprentissages est un problème rarement affronté de façon explicite par l’institution éducative." (Claude Bisson-Vaivre (dir.), 2018, Le travail personnel de l'élève dans la classe, hors la classe, Canopé, p. 14).

 

 

Voici un mur virtuel qui sélectionne quelques-unes des nombreuses ressources sur la question du travail personnel de l'élève (dans la classe et hors la classe) et son accompagnement par les enseignants. Ce dernier ne prétend nullement à l'exhaustivité, mais recense des ressources qui ont été mobilisées pour mener la réflexion proposée dans ces billets, et pour mener des actions au sein du collège Michel Servet (Annemasse) autour du dispositif "Apprendre à apprendre" mis en place depuis 2020.

 

Le travail personnel de l'élève hors la classe : à la recherche des "devoirs utiles"

 

Le travail personnel hors la classe ne doit pas seulement être explicité (voire commencé) en classe, il doit aussi être au service des apprentissages. C'est dans cette perspective qu'André Tricot invite les enseignants à penser ce qu'ils donnent comme devoirs selon le prisme de leur utilité pour les apprentissages.

 

Pour une approche réflexive des devoirs à la maison (c'est-à-dire pour que le travail personnel de l'élève hors la classe soit efficace en termes d'apprentissage), il convient de se questionner sur la finalité de ces devoirs :

  • à quoi servent les devoirs donnés ?
  • quelles procédures doivent employer les élèves pour réaliser ces devoirs ?
  • quel réinvestissement des devoirs dans la classe ?

 

 

 

Catégoriser les devoirs pour questionner leur utilité, leur efficacité et leur finalité dans les apprentissages :

 

De nombreuses typologies des devoirs à la maison existent, et permettent de repérer la finalité des différents devoirs donnés aux élèves hors la classe :

  • les devoirs de pratique : ils ont pour but de mettre en pratique ce qui a été appris en classe, de l'assimiler, d'en reproduire les mécanismes. Ce sont les devoirs les plus courants. Ils prennent la forme de travaux d'apprentissage des leçons et d'exercices d'application.
     
  • les devoirs de préparation : en amont du cours, ils visent à donner aux élèves une première approche du sujet prochainement étudié en classe. Ils sont particulièrement mobilisés (de manière non exclusive) dans la classe inversée. Ils prennent la forme d'une lecture de document(s), d'un visionnage de capsule vidéo, d'une recherche sur un personnage historique, sur un événement ou sur un auteur, etc.
  • les devoirs de poursuite : ils ont pour objet de faire réutiliser des notions, des savoirs ou des savoir-faire vus en classe dans d'autres situations. Ces devoirs sont les plus motivants pour les élèves performants. Attention, les devoirs de poursuite ne doivent pas être un outil pour compenser une difficulté de gestion du temps de classe : ce type de devoir, qui vise à s'assurer de l'appropriation des notions (et pas uniquement de leur apprentissage), doit être ré-exploité lors du retour en classe (nécessaire continuité hors la classe / dans la classe).
  • les devoirs de réflexion ou de créativité : ils relèvent davantage de l'analyse ou d'une production libre. Ils prennent la forme de travaux d'écriture, de travaux d'approfondissement, de productions artistiques, etc.
Source : "Devoirs faits. Dossier pédagogique", académie de Poitiers, février 2018, p. 11.
Source : "Devoirs faits. Dossier pédagogique", académie de Poitiers, février 2018, p. 11.

 

 

Il existe d'autres manières de catégoriser les devoirs, en questionnant par exemple :

  • la quantité de devoirs : fréquence, longueur
  • le degré de difficultés : facile, alternance facile/difficile, difficile
  • le but : pratique de certaines compétences, préparation pour l'apprentissage de nouvelles notions en classe, extension des compétences (transfert dans de nouvelles situations), intégration des compétences (utilisation de plusieurs compétences pour la réalisation d'une production)
  • les procédures à employer pour la réalisation des devoirs : écriture, (re)lecture, mémorisation
  • le degré de différenciation apportée : adapté aux élèves individuellement sans aide, adapté à un groupe d'élèves étayé (ex : fiches "coup de pouce"), adapté pour être accompagné par un accompagnant
  • le choix pour les élèves : obligatoire, obligatoire avec des tâches optionnelles, facultatif
  • l'échéance : court terme, moyen terme, long terme
  • le contexte social requis : à faire de manière autonome, nécessité du soutien de la famille ou d'autres élèves, à faire en groupe

(d'après : Bianca Tremblay, Isabelle Julien, Louise Côté et Sylvianne Sergerie, "Pour soutenir une réflexion sur les devoirs à l'école primaire", Avis du Comité supérieur de l'éducation, Commission scolaire de la Baie Saint-James, 2014).

 

Voici une infographie réalisée pour le groupe académique "Travail personnel de l'élève" de l'académie de Grenoble, qui synthétise les différentes catégorisations des devoirs à la maison. Cette grille de lecture a pour objectif d'aider les enseignants à se construire leur propre grille de questionnements autour de l'utilité et de l'efficacité des devoirs qu'ils donnent aux élèves hors de la classe.

 

 

Souvent pensés comme deux temps séparés, autonomes l'un de l'autre, le "dans la classe" et le "hors la classe" se co-construisent l'un l'autre. Les devoirs à la maison ne reposent pas seulement sur la motivation des élèves et l'encadrement de leurs familles (ce qui creuse fortement les inégalités, dans la mesure où les codes scolaires ne sont pas maîtrisés de manière égale d'une famille à l'autre).

 

Ce premier billet avait pour objectif de synthétiser et mettre à disposition quelques-uns de nombreux travaux sur la question du travail personnel de l'élève, et sur la nécessité de penser et construire ensemble le travail personnel dans et hors la classe. Ainsi, les travaux sur le travail personnel (dans et hors la classe) impulsent des questionnements sur les pratiques enseignants :

  • Comment repenser la trace écrite pour favoriser la mémorisation active et l'autonomie des élèves, sans proposer une forme qui creuse les inégalités ?
  • Comment inscrire dans la durée les apprentissages des essentiels de la géographie (en terme de démarche réflexive, de vocabulaire et de savoir-faire) ?
  • Comment favoriser le travail personnel hors la classe, en agissant sur l'explicitation des attendus et des procédures ?

Les prochains billets de la série sur le travail personnel de l'élève hors la classe proposeront quelques pistes de réflexion et des outils dans la perspective de favoriser les apprentissages en géographie.

 

Écrire commentaire

Commentaires: 0