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Une meilleure connaissance des neuromythes au service de l'enseignement de la géographie

Neuromythes et apprentissages : quelques aspects introductifs

Nous croisons encore de nombreux élèves, familles, voire collègues qui affirment, avec sincérité, "X peut progresser en écoutant tous les cours en audio, il a une mémoire auditive". Si la première partie de la phrase est correcte (l'audio peut favoriser les apprentissages), la seconde partie n'est en rien prouvée scientifiquement : c'est un neuromythe. Les sciences cognitives montrent que nous n'avons pas des "profils d'apprentissage" visuel, auditif ou kinesthésique. Néanmoins, nous avons un système de mémoires parmi lesquelles une mémoire perceptive, sur laquelle s'appuie cette fausse impression d'être "visuel, auditif ou kinesthésique".

 

Les neuromythes sont de fausses croyances sur le fonctionnement du cerveau (c'est d'ailleurs un terme qui vient du domaine médical) qui induisent des stratégies d'apprentissage moins efficaces que d'autres. Ils ont l'avantage de proposer des solutions simples (voire simplistes) pour apprendre, et, dans cette perspective, sont souvent transmis comme "efficaces" dans des ouvrages parascolaires et de coaching / développement personnel (il ne faut pas oublier l'aspect marchand de telles ressources qui doivent miser sur la simplicité, voire le simplisme, de leurs "recettes", ce qui peut entraîner des dérives). Pourtant, les transmettre comme de "bonnes pratiques" dans l'apprentissage peut entraîner une démotivation des élèves. C'est pourquoi, il est nécessaire d'apprendre aux élèves à s'emparer de stratégies plus difficiles à comprendre et à mettre en place en autonomie, mais plus efficaces pour les apprentissages.

 

Parmi les neuromythes les plus courants, on retrouve notamment :

  • les styles ou profils d'apprentissage,
  • les intelligences multiples,
  • la pyramide d'apprentissage,
  • la Brain Gym (ou gymnastique cérébrale),
  • le cerveau gauche / le cerveau droit,
  • les personnes multitâches,
  • le cerveau triunique (dont fait partie le cerveau reptilien),
  • la bosse des maths,
  • l'effet Mozart,
  • l'idée que tout se joue avant 3/6/9 ans, etc.

La croyance autour de la véracité de ces neuromythes repose sur des biais cognitifs (des "raccourcis" que créent notre cerveau et qui influencent notre perception du monde), et notamment le biais de confirmation. Par exemple, beaucoup de personnes affirment que les styles d'apprentissage sont opératoires puisqu'eux-mêmes sont "visuels" et apprennent mieux avec des ressources visuelles (et notamment des schémas de synthèse). Pourtant, il y a une première confusion sur ce que recouvre le "visuel" : un texte lu relève aussi du visuel. De plus, dans la mesure où nous avons une mémoire sensorielle (ou mémoire perceptive), nous utilisons tous nos cinq sens pour mémoriser : nos sens sont tous mis à contribution dans le processus de mémorisation. Autrement dit, le biais de confirmation peut nous influencer à croire aux profils/styles d'apprentissage, en conformant nos hypothèses ("je suis visuel / auditif / kinesthésique") à la réalité complexe du cerveau (la mémoire sensorielle utilise les cinq sens, et donc repose tout autant sur une mémoire auditive, visuelle, tactile, gustative et olfactive).

 

Il ne s'agit donc pas de dire qu'il ne faut pas recourir aux schémas de synthèse ou aux schémas heuristiques ! Au contraire, la multiplication des types de supports favorise les apprentissages, parce qu'elle stimule la mémoire perceptive dans tous ses aspects. Néanmoins, il ne faut pas conclure que seul le support schématique pourra aider tel élève parce qu'il est dans telle case, ou que ce support ne pourrait pas servir à tel élève. Face à ce neuromythe (le plus répandu dans le monde éducatif), il ne faut pas confondre une préférence (qui ne relève que de la sensation, de l'impression, voire d'un "conditionnement" sociétal) et un supposé style d'apprentissage : toutes les études ont montré que les individus n'apprennent pas mieux s'ils emploient des supports liés à leur préférence. Préférer ne garantit donc pas l'efficacité. De plus, ces mêmes études montrent que ce qui est efficace à l'apprentissage est la multiplication des supports. Autrement dit, les préférences n'ont pas d'impact sur l'efficacité de l'apprentissage. Plus généralement, les intuitions ne suffisent pas à penser des pratiques enseignantes qui favorisent les apprentissages.

 


 

Cet exemple de déconstruction rapide d'un neuromythe vise ici à montrer que ces fausses croyances sur le cerveau peuvent amener à adopter des enseignements qui se fondent sur des stratégies moins efficaces (voire inefficaces) pour les apprentissages des élèves (ce qui peut être source de démotivation pour les élèves comme pour les enseignants).

 

Les cinq types de mémoires (source : site Dyspositif, https://www.dys-positif.fr/les-5-types-de-memoire/)
Les cinq types de mémoires (source : site Dyspositif, https://www.dys-positif.fr/les-5-types-de-memoire/)
La mémoire sensorielle ou perceptive (source : Observatoire B2V des mémoires, https://www.observatoireb2vdesmemoires.fr/decouvrir/la-memoire-individuelle/la-memoire-perceptive)
La mémoire sensorielle ou perceptive (source : Observatoire B2V des mémoires, https://www.observatoireb2vdesmemoires.fr/decouvrir/la-memoire-individuelle/la-memoire-perceptive)

 

Le mur virtuel ci-dessous propose quelques ressources pour mieux appréhender les neuromythes dans leur ensemble, leurs impacts dans les apprentissages, et chaque neuromythe en particulier. La Biblio/sitographie les concernant est très vaste, cette sélection ne prétend pas à l'exhaustivité, mais tente de mettre à disposition des ressources utiles et pratiques.

 

Ressources théoriques

Exemples pratiques


Neuromythes et enseignement de la géographie : aspects pratiques

Connaître les neuromythes tels que le styles/profils d'apprentissage et, plus généralement, le fonctionnement du cerveau permet ainsi de ne pas déployer son énergie dans des pratiques enseignantes peu efficaces.

 

Plusieurs fausses idées doivent être déconstruites pour éviter une implication forte de l'enseignant dans des procédures peu efficaces (voire contre-productives pour certaines). Quelques exemples :

  • il ne faut pas réserver des supports schématiques à des élèves "visuels", des supports audio à des élèves "auditifs" et des temps de manipulation à des élèves "kinesthésiques" : tous les élèves doivent bénéficier des différents supports créés, et la multiplication des supports favorise les apprentissages ;
  • les traces écrites copiées ne sont pas celles qui favorisent les apprentissages des élèves ;
  • aucun individu n'est multitâche : s'il est connue que la double tâche n'est pas recommandée pour les élèves à besoins éducatifs particuliers (E.B.E.P.), ils ne sont pas les seuls élèves à être en difficulté face à la double tâche dès lors qu'aucune des deux tâches n'est consciente (c'est-à-dire qu'aucune des deux tâches ne peut être menée sans s'y concentrer).

Plus généralement, on retiendra qu'il n'y a pas UN outil "miracle", UNE solution unique pour favoriser les apprentissages. De plus, il est nécessaire de faire le lien entre le travail personnel dans la classe et hors la classe pour que les élèves conscientisent les procédures à employer face à telle tâche (apprendre, comprendre, reproduire dans un autre contexte, etc.). Dans cette perspective, les objectifs, les méthodes, les procédures et les connaissances doivent être le plus explicite possible.

 

Plusieurs pistes peuvent être retenues dans l'enseignement de la géographie :

  • penser la forme de la trace écrite ;
  • expliciter les procédures à mettre en place pour apprendre ;
  • faciliter les liens entre le travail personnel de l'élève dans et hors la classe ;
  • penser l'aménagement de la salle de classe ;
  • penser les degrés d'attention sollicités selon les tâches pendant le temps en classe.

 

La trace écrite et la mémorisation par questionnement

Fiche "La mémorisation par questionnement" (source : site Sciences cognitives, https://sciences-cognitives.fr/wp-content/uploads/2020/10/AFSC-Fiches-Theoriques-Memorisation-par-questionnement.pdf)
Fiche "La mémorisation par questionnement" (source : site Sciences cognitives, https://sciences-cognitives.fr/wp-content/uploads/2020/10/AFSC-Fiches-Theoriques-Memorisation-par-questionnement.pdf)

"Le cerveau est naturellement conçu pour apprendre en se questionnant" ("La mémorisation par questionnement", Sciences cognitives). Néanmoins, lorsque l'on interroge des élèves sur leur manière d'apprendre, la très grande majorité emploie la même procédure pour apprendre : lire et relire le cours. Cette stratégie d'apprentissage est peu efficace, tout comme les résumés, le surlignage, les mots-clefs mnémotechniques. Il ne s'agit pas de dire que ces stratégies ne servent pas, mais elles ont une efficacité faible (voir Catherine Meilleur, 2021, "10 techniques d'étude et leur efficacité", Knowledge One,  1er décembre 2021).

 

La mémorisation par questionnement peut insérer des inégalités entre les élèves, si elle est reportée exclusivement hors de la classe, avec des familles qui sont familiarisées ou non à la métacognition (voir notamment "Pourquoi les enfants de prof réussissent mieux leurs études ?", Le Monde, 25 novembre 2019). Apprendre efficacement suppose le recours à des stratégies cognitives de haut niveau (voir notamment Didier Goudeseune, 2018, "Une typologie des stratégies d'apprentissage utilisées par les élèves", Par temps clair, 4 mai 2018), ce qui suppose un accompagnement à ces stratégies dès le temps en classe.

 

La mémorisation par questionnement peut être présente dans toutes les étapes du processus d'apprentissage :

  • en amont de l'apprentissage : le questionnement permet de faire le bilan des prérequis (et ainsi de voir ceux qui ne sont pas maîtrisés) ainsi que de contextualiser les méthodes et les connaissances qui vont être nécessaires à ce nouvel apprentissage ;
  • pendant l'apprentissage : le questionnement permet d'effectuer des bilans de ce qui est compris et de mobiliser l'attention sur les points-clefs de l'apprentissage ;
  • après l'apprentissage : le questionnement favorise la mémorisation à moyen et long termes, surtout s'il est couplé avec la répétition espacée.

 

 

Fiche "La mémorisation par questionnement" (source : site Sciences cognitives, https://sciences-cognitives.fr/wp-content/uploads/2020/10/AFSC-Fiches-Theoriques-Memorisation-par-questionnement.pdf)
Fiche "La mémorisation par questionnement" (source : site Sciences cognitives, https://sciences-cognitives.fr/wp-content/uploads/2020/10/AFSC-Fiches-Theoriques-Memorisation-par-questionnement.pdf)

 

Parmi les outils possibles, la fiche de mémorisation est particulièrement efficace, mais elle nécessite un accompagnement progressif. En effet, le questionnement permettant une mémorisation efficace dans le moyen et long terme ne peut pas être construit par l'élève lui-même de manière autonome sans apprentissage préalable de cette procédure. De plus, l'autonomie des élèves face au questionnement ne peut être la même en fonction des âges : il convient d'accompagner en primaire et au collège le questionnement avant de laisser les élèves pouvoir le construire par eux-mêmes, progressivement (en fin de cycle 4 et surtout au lycée). Cela suppose de s'adapter aux élèves et de pouvoir leur proposer différents supports de la même fiche de mémorisation, lors des étapes d'appropriation de cet outil par les élèves : en cycle 3, la fiche de mémorisation fait apparaître les questions auxquelles les élèves doivent répondre (avec des temps de reprise collective, par exemple, pour valider le contenu des fiches de mémorisation) ; en cycle 4, ces questions doivent progressivement être construites par les élèves (avec un accès à des fiches corrigées, par exemple disposées sur le tableau pour consultation par les élèves, sans "recopiage" passif, c'est-à-dire sans que les élèves puissent être passifs au moment d'écrire les connaissances dans la fiche de mémorisation) ; au lycée, les élèves doivent pouvoir construire la fiche de mémorisation par eux-mêmes (questions et réponses).

 

EXEMPLE DE FICHES DE MÉMORISATION :

exemple de la séquence "Introduction à la mondialisation" en classe de 4e

(questions apparentes pour les élèves, division de la fiche en deux parties pour pouvoir cacher les réponses lors des révisions hors la classe, partie "questionnement" explicite dans la fiche de mémorisation)

 

 

Il ne s'agit ici que d'un exemple (d'autres seront développés dans de prochains billets) qui visent à illustrer l'importance pour les enseignants comme pour les élèves de ne pas s'accrocher à de fausses croyances sur le cerveau, afin de ne pas démotiver les uns et les autres dans leurs efforts et l'énergie mise au service des apprentissages :

  • pour les enseignants, il est majeur de ne pas transmettre des "recettes miracles" dans les apprentissages (ex : les "profils" d'apprentissage qui règleraient de manière ferme et simple la question du "comment apprendre" pour chaque élève), afin d'éviter des déceptions qui pousseraient à une démotivation, voire un décrochage scolaires ;
  • pour les élèves, il est fondamental de connaître la plasticité du cerveau, c'est-à-dire de ne pas croire que "tout est joué d'avance", que "certains ont une bonne mémoire, pas moi", "je ne peux pas, je n'ai pas la bosse des maths", ou encore que "je ne peux pas progresser, je suis nul(le)".

Les outils mis en place en classe doivent avant tout être explicités aux élèves : pourquoi les met-on en place ? Qu'apportent-ils aux élèves ? Comment fonctionnent-ils ?

 

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