Petites précautions : Ce billet n'a pas pour objectif de discuter du bien-fondé de l'existence à la rentrée de septembre 2024 d'une "classe préparatoire à la Seconde" (on pourrait aussi discuter des manques de moyens - puisque ces classes ont été annoncées après les DHG, c'est-à-dire à moyens constants -, mais ce ne sera pas ici le propos, bien qu'il soit fondamental dans la mise en oeuvre concrète de ce nouveau dispositif).
Ainsi, il ne s'agit pas de discuter de la pertinence de ce dispositif, ni de sa "concurrence" avec d'autres dispositifs qui mériteraient d'être soutenus et appuyés pour ne plus être perçus comme des "voies de garage" (je pense notamment à la 3e prépa métiers, aux formations en M.F.R., etc.). Je prends acte de cette décision, et essaie de penser à ce que je pourrais / voudrais y faire avec des élèves si je devais y enseigner.
De plus, à l'heure où j'écris ces lignes, on en sait assez peu sur ces classes préparatoires à la classe de Seconde, si ce n'est qu'elles seront intégrées dans des lycées généraux et technologiques volontaires, sous la forme de test pour la rentrée prochaine, que le temps scolaire (27h par semaine) sera découpé en deux blocs : 20 heures pour les enseignements disciplinaires (dont 2,5h en histoire-géographie-E.M.C.) et 7h d'enseignements méthodologiques et préparatoires à la suite du parcours de l’élève (un module qui me semble nécessaire, ambitieux s'il s'appuie sur les sciences cognitives et les pratiques pédagogiques favorisant la mémorisation, l'acquisition des essentiels, l'engagement scolaire, la motivation scolaire, etc., mais dont le flou total fait craindre une totale inadéquation entre les besoins et la mise en place si celle-ci s'avère totalement déconnectée, sans lien concret avec le premier bloc, avec des enseignants peu ou pas formés, parfois non volontaires, laissés seuls face à des objectifs flous).
En outre, les annonces se succèdent et entrent parfois en contradiction. Dans un premier temps, il était question d'un "sas" entre une troisième générale et une Seconde générale et technologique dans le cas où des élèves qui avaient opté pour cette orientation n'avaient pas réussi leur D.N.B. (diplôme national du brevet). Depuis, il a été question d'accueillir tous les élèves ayant échoué au D.N.B. quelque soit leur orientation (lycée général et technologique mais aussi lycée professionnel). J'en reste, pour ce billet, à la première annonce, en attendant plus de précisions, car il me semble que ce sas n'a aucun sens pour des élèves acceptés en lycée professionnel (où les places sont limitées) qu'ils aient ou non réussi leur D.N.B. et où ils seront dans une structure choisie favorisant leurs apprentissages avec des collègues qui savent déjà très bien reprendre les prérequis non acquis par ces élèves, pour les accompagner dans la consolidation des "fondamentaux" (je déteste les (més)usages de cette expression, d'où les guillemets) en lien et en parallèle dans leur apprentissage d'un métier.
Enfin, il n'y a, pour l'heure, aucun programme annoncé. Y en aura-t-il ? Les enseignants du dispositif auront-ils un cadre flexible pour créer, à l'échelle de leur territoire, une progression qui tienne compte de leurs élèves ?
Passées ces précautions, voici quelques points de réflexion sur la place de la géographie dans ce dispositif (je ne me permettrais pas de généraliser, mais certains points vaudront peut-être pour d'autres disciplines).
Avant de se lancer "tête baissée" dans un programme et une progression fondés sur des connaissances : les écueils à éviter
Premier point, qui paraît être une évidence, mais il semble tout de même important de le rappeler : cette classe n'aurait aucun sens s'il s'agissait d'une part de refaire le programme de 3e, d'autre part d'amorcer le programme de Seconde.
Tout d'abord, parce que l'enjeu des programmes n'est pas l'essentiel qui se joue pour les élèves dans cet "entre-deux". Proposer (en plus rapide, puisque l'on passe de 3,5h en histoire-géographie-E.M.C. en classe de 3e à 2,5h dans ce dispositif) de reprendre le programme de 3e n'a aucun sens puisque le doublement existe : dans ce cas, autant proposer à l'élève concerné de refaire sa 3e. Cela n'a surtout pas de sens parce que ce n'est pas le programme en tant qu'agglomérat de thématiques et de connaissances qui sont en jeu dans les difficultés de ces élèves qui souhaitent aller en Seconde générale et technologique mais se retrouvent en difficultés en cycle 4. Ce qui se joue, ce sont avant tout des compétences : ces élèves, en classe et hors la classe, sont dans le "faire pour faire". Autrement dit, lors de leurs apprentissages, ces élèves sont dans la tâche ou paraissent l'être, mais n'en comprennent pas le sens, la finalité, ce qui est en jeu. Parfois, ils sont aussi dans le refus de la tâche, dans la résignation, voire dans la colère, parce que justement le sens de la tâche leur échappe.
Pour ne donner qu'un exemple concret (mais on pourrait aisément les multiplier, tant cette situation fait partie du quotidien "ordinaire" d'une classe) : lorsque j'ai mis en place ma première version du livret "Ce que j'ai appris", de très nombreux élèves de cycle 4 (5e et 4e) m'écrivaient "on a complété un tableau, on a étudié une carte, etc.". Ces élèves ne distinguent pas "ce que j'ai appris" de "comment j'ai appris". J'ai d'ailleurs modifié, depuis, le livret en incluant une case "comment j'ai appris". En soi, cette case n'a aucun intérêt ! Mais elle pousse les élèves à se forcer à différencier "ce que j'ai appris" (connaissances, méthodes, savoirs-faires) de "comment j'ai appris" (moyens mobilisés pour parvenir aux apprentissages). Elle me permet aussi de repérer plus rapidement les élèves pour qui compléter la case "ce que j'ai appris" relève de l'implicite le plus total.
Ces élèves ont des réactions différentes : certains se "cachent" et semblent faire, ou tout du moins font tout pour ne pas être remarqués ; d'autres se "rebellent" et montrent, par leur comportement, que le sens des apprentissages leur échappent. Tous sont en difficulté avec le "faire pour apprendre" qui leur échappe.
En ce sens, il est essentiel de ne pas penser les difficultés de ces élèves en termes de contenu, de programme, mais en termes de compétences, de malentendus cognitifs et d'essentiels. Or, le prescrit est souvent pensé en termes de connaissances à (ac)cumuler, tout du moins dans les programmes d'histoire et de géographie (mais je ne pense pas qu'il y ait une autre approche dans les autres disciplines scolaires).
Refaire un "essentiel" du programme de la classe de 3e serait une erreur, car les malentendus cognitifs qui bloquent l'élève ne sont pas de l'ordre de connaissances non acquis dans cette classe. D'une part, les prérequis des élèves en termes de connaissances sont bien plus anciens. D'autre part, revoir ce qui a été vu sans faire sens ne permet pas aux élèves de dépasser leurs blocages, une telle démarche risque même bien davantage de donner une fausse impression de "savoir déjà" aux élèves qui s'investiront d'autant moins dans leur travail personnel (en classe et hors la classe) que cette illusion de maîtrise va les duper. Face aux premiers résultats, la perte de motivation risque d'être bien plus forte pour ces élèves (c'est l'un des principaux écueils du doublement de classe).
Faire une "amorce de la classe de Seconde" prendrait le même risque : ne pas résoudre les malentendus cognitifs, laisser les élèves dans le "faire pour faire" sans leur permettre de le dépasser, et de leur faire expérimenter une illusion de maîtrise en début de Seconde qui amènerait beaucoup d'élèves à s'investir insuffisamment.
Quelques réflexions sur les "essentiels" qui constituent des prérequis en géographie avant la classe de Seconde générale et technologique
L'exemple ci-contre, décrit et analysé par Stéphane Bonnéry, est bien connu, mais il me semble très parlant pour le propos développé ici. Amidou est un élève de sixième, qui est impliqué dans son travail, mais qui passe à côté de ses apprentissages, du fait de malentendus cognitifs. Pour Amidou, la séquence lui propose d'apprendre une carte, et non d'apprendre à produire un croquis en corrélant la légende et le remplissage du fond de carte. En classe, Amidou n'envoie pas de signes visibles de ce malentendu, puisqu'il est dans l'activité. Mais il est dans le "faire pour faire". Le recueil du vécu d'Amidou par Stéphane Bonnéry est éloquent à ce propos : Amidou confond totalement ce qu'il doit apprendre et comment apprendre au point que toute son attention et toute sa concentration sont centrées sur le coloriage, peu importe les explicitations qui lui seront données. Amidou n'est pas dans le refus de la tâche, bien au contraire.
Imaginons la poursuite du parcours d'Amidou : le malentendu soulevé dans la séance observée par Stéphane Bonnéry n'est pas spécifique à l'exercice rencontré. Au contraire, la situation n'est qu'un exemple de la manière dont Amidou (et bien d'autres élèves !) appréhende les apprentissages scolaires.
Dans cette perspective, une année de "sas" ne peut pas être bénéfique si elle se construit sur une somme de connaissances à apprendre. Autrement dit, ce n'est pas en cumulant des "leçons" de géographie que les élèves concernés pourront dépasser leurs malentendus cognitifs, et de ce fait, ce serait une année supplémentaire avec les mêmes difficultés pour ces élèves. Ainsi, l'essentiel n'est pas une question de cumul de connaissances.
Au contraire, il paraît fondamental de limiter le nombre de thèmes à ceux qui sont essentiels pour comprendre ce qui sera en jeu au lycée général et technologique en géographie (cela vaudrait évidemment pour l'histoire, pour l'E.M.C. et certainement pour bien d'autres disciplines !).
LES PRÉREQUIS EN TERMES DE CONNAISSANCES À CONSOLIDER :
Pour de nombreux élèves, tout au long du cycle 4, les connaissances appréhendées en géographie sont floues parce qu'elles requièrent a minima un prérequis qui n'est pas acquis : la répartition de la population. Ainsi, il est très difficile pour un élève qui n'a aucun repère sur la répartition de la population de saisir ce qui est en jeu dans l'inégale évolution de la population, l'inégale accessibilité aux ressources, l'inégale consommation des ressources, l'inégal épuisement des ressources et des sols, l'inégale répartition des richesses, l'inégale vulnérabilité face aux risques, l'inégale intégration dans la mondialisation, l'inégale répartition des activités. Pourtant, ce thème est abordé en fin de cycle 3 (en classe de 6e) et n'est pas revu par les élèves pour la suite de leur scolarité si l'on suit le prescrit à la lettre. Sans ce prérequis, l'ensemble des thèmes étudiés par la suite prend difficilement sens. Au milieu de multiplier les thèmes, comme il est "coutume" de le faire dans la rédaction des programmes en histoire et en géographie, peut-être serait-il souhaitable de ne retenir que deux thèmes (l'un en histoire, l'autre en géographie) comme, par exemple, dans les programmes de lettres au collège, et de veiller à son acquisition, sa consolidation, son approfondissement.
Ce thème permettrait de faire acquérir des notions-clefs aux élèves :
- répartition spatiale,
- population / peuplement,
- densité de population,
- atouts / contraintes,
- paysages (trop souvent laissés de côté, notamment au cycle 3 où leur part a diminué dans les programmes),
- espaces urbains / ruraux / littoraux,
- espaces de forte densité / faible densité.
Ces prérequis sont des essentiels pour donner du sens à l'enseignement de la géographie.
Ce thème est aussi une parfaite occasion pour reprendre avec les élèves le raisonnement géographique avec ses étapes et son approche multiscalaire. Limiter le nombre de thèmes permet à ces élèves dans le "faire pour faire" de ne pas "courir après le programme" et ainsi respecter leur rythmes d'apprentissage pour éviter de laisser implicites ces enjeux d'apprentissage.
Il ne s'agit nullement de dire que tout cela n'a pas déjà été fait, étudié, appréhendé, détaillé en cycles 2 et 3 ! Mais de constater que pour ces élèves, le rythme imposé par les programmes ne leur a pas permis d'en saisir le sens, et leur a laissé la fausse impression d'une discipline qui cumule (les connaissances, les exercices, les notions). Redonner du temps, en se centrant sur un seul thème, pourrait permettre de dépasser cette impression, et d'ancrer réellement les attendus derrière les activités et les connaissances de la géographie.
LES PRÉREQUIS EN TERMES DE MÉTHODES À CONSOLIDER :
Tout comme pour les connaissances, il me semble contreproductif de vouloir anticiper les méthodes des exercices attendus en classe de Seconde générale et technologique (telle que l'étude critique de documents ou la dissertation ou tout exercice / appellation proche).
En effet, si on prend le cas de l'étude critique de documents, il sera très difficile pour un élève d'en rédiger en autonomie ne serait-ce que l'introduction alors qu'il n'a pas encore acquis les attendus de la consigne "présenter un document". La première étape de cet exercice, certainement présentée comme la plus "facile" à acquérir, sera donc déjà un obstacle pour ces élèves.
Là encore, il me semble qu'il ne faut pas se restreindre à regarder les seules classes de 3e et de Seconde générale et technologique pour penser ce "sas", parce que les prérequis non acquis sont bien souvent plus anciens. Si l'on reprend le cas d'Amidou, il est assez probable que l'ensemble des méthodes autour des croquis (le croquis de paysage, le croquis de synthèse) n'est pas acquis à la fin de son cycle 4, le malentendu cognitif l'ayant certainement suivi, puisque, comme le note Stéphane Bonnéry, Amidou focalise toute son attention sur le "comment faire" et "décroche" son écoute pour les explications que son enseignante lui apporte et qui lui permettrait de "faire pour apprendre".
L'approche à penser doit ainsi permettre aux élèves de dépasser le "faire pour faire" dans lequel ils sont "coincés", et d'atteindre le "faire pour apprendre", voire même le "faire pour se faire et refaire" (selon les 4 profils d'élèves proposés par le groupe Apprenance de l'académie de Grenoble).
Ainsi, les élèves devraient être confrontés à toutes les méthodes des cycles 3 et 4, et pas "seulement" à celles qui préparent directement les exercices du lycée général et technologique. En se limitant en termes de connaissances (c'est-à-dire en ne proposant pas un programme "savant", mais un programme centré sur les savoir-faire), il serait possible de permettre à ces élèves de s'entraîner en profondeur sur les méthodes non acquises.
PENSER LES RYTHMES DE L'ÉVALUATION AUTREMENT :
Dans le flou actuel de la mise en place du dispositif, il est possible d'imaginer tous les possibles (ceux-ci ne seront peut-être pas réalisables, évidemment, mais ce n'est pas le propos ici), notamment en matière d'évaluation, notamment en la pensant davantage en termes de remédiation qu'en termes de "note", puisqu'il s'agit d'attribuer ou non une attestation de fin de cycle en fin d'année scolaire. Ainsi, l'évaluation formative pourrait prendre, dans ce dispositif, une place majeure, et permettre aux élèves d'être évalués à leur rythme (par exemple, par le système de ceintures de compétences).
Si l'on pense cette année avec un programme sous une forme qui échapperait au cumul de connaissances pour être davantage centrée sur les savoir-faire, la mise en place d'une évaluation aux rythmes choisis pourrait être mise en place assez aisément. Ainsi, lors du thème unique de géographie (comme on le propose ici), les élèves seraient évalués de manière diagnostique sur les méthodes-clefs des cycles 3 et 4, et pourraient s'entraîner, sur un temps assez long sur les points sur lesquels ils n'ont pas acquis la compétence. Il s'agirait de permettre aux élèves de choisir le nombre d'entraînements, sous la forme d'ateliers, autour du thème commun. Les uns pourraient travailler le croquis de paysage, tandis que les autres s'entraîneraient à la description d'une photographie, et d'autres encore à la présentation des documents. Une par une, les méthodes non acquises pourraient ainsi être remédiées.
En ce sens, l'évaluation par ceintures de compétences sur un thème unique permettrait de centrer les apprentissages sur les savoir-faire plutôt que sur l'acquisition de connaissances.
Un très bref résumé pour penser une année de remédiation
Une année de remédiation ne me semble pas devoir refaire ce qui a été fait avant, et ne me semble pas devoir être pensée comme une "anticipation" à ce qui sera fait ensuite. Quelques principes peuvent ainsi être pensés :
- un programme qui ne serait pas pensé par le cumul de connaissances, avec une focalisation sur les savoir-faire,
- une évaluation qui soit pensée comme une remédiation tout au long de l'année pour viser une attestation de validation des acquis de compétences, avec une place importante à l'évaluation formative (par exemple, en recourant aux ceintures de compétences permettant à l'élève de choisir quand il veut être évalué et de passer des paliers qui lui permettent d'expérimenter concrètement ses progrès),
- une forme scolaire repensée qui mette en avant la remédiation s'appuyant sur des ateliers autonomes centrés sur les méthodes à acquérir, des balises de remédiation, une table d'aide, une table d'appui, etc.
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