De nombreux travaux montrent le poids des documents étudiés en classe, et tout particulièrement celui des photographies, dans la construction de l'imaginaire spatial (notamment pour le cas du Brésil : voir des propositions de lectures en fin de billet). Pourtant, les images qui sont mobilisées pour enseigner ne sont pas toujours questionnées, remises en cause, confrontées à d'autres images avant de les présenter aux élèves. Des questions matérielles et logistiques entrent évidemment en compte, mais une part de cet usage de l'image en géographie vient de la connaissance parfois partielle de certains espaces présentés. C'est évidemment l'une des difficultés de la géographie, enseignement pour lequel il faut avoir des connaissances solides en amont et pour lequel la formation continue est essentielle.
Si le collège peut être identifié comme le temps des contrastes spatiaux dans l'apprentissage de la géographie (qui permet de construire le raisonnement géographique des élèves, tout particulièrement en mobilisant les contrastes géographiques pour les inviter à s'approprier la question "pourquoi ici et pas ailleurs ?"), le lycée (général et technologique comme professionnel) doit être le temps de la complexité géographique, et invite à travailler sur des documents iconographiques montrant les interfaces spatiales.
De plus, enseigner les contrastes spatiaux ne signifie pas qu'il faille tomber dans le simplisme. Certaines discontinuités spatiales sont effectivement très marquées dans le paysage, mais il ne s'agit pas, dès le cycle 3, de focaliser toute l'attention des élèves sur ces seules formes spatiales.
Enfin, certains paysages sont "tronqués" par l'approche visuelle qu'on en donne. C'est notamment le cas pour les déserts, et tout particulièrement pour le désert du Sahara. Ainsi, l'étude des espaces de très fortes contraintes en classe de 6e permet de faire réfléchir les élèves aux différentes contraintes telles qu'elles sont des obstacles à l'installation et aux activités humaines, ainsi qu'aux manières dont les êtres humains dépassent, au moins en partie, ces contraintes pour "faire avec l'espace"*.
* À ce propos, voir notamment les travaux de Mathis Stock, et tout particulièrement : Mathis Stock, 2012, "« Faire avec de l’espace »: pour une approche de l’habiter par les pratiques", dans Brigitte Frelat-Kahn et Olivier Lazzarotti (dir.), 2012, Habiter. Vers un nouveau concept ?, Armand Colin, collection recherches, Paris, pp. 59-78 ; Mathis Stock, 2015, "Habiter comme « faire avec l’espace ». Réflexions à partir des théories de la pratique", Annales de Géographie, n°704, n°2015/4, pp. 424-441).
Pourtant, concernant le Sahara, la contrainte est réduite, dans l'imaginaire spatial collectif, à la question du sable et de son immense étendue. De nombreuses oeuvres reprennent cet imaginaire de la contrainte : "Galbe rosé des dunes, mer de sable, vent de sable... tel est le désert qui a investi notre imaginaire collectif. Les géographes ont beau répéter qu'il n'occupe qu'une faible superficie du Sahara, le sable s'est imposé au point d'en devenir l'emblème : il est l'écrin de toutes les situations chargées d'émotions intenses, sensuelles, esthétiques ou dramatiques." (Michel Roux, 1996, Le désert de sable. Le Sahara dans l'imaginaire des Français (1900-1994), L'Harmattan, collection Histoires et Perspectives Méditerranéennes, Paris, 204 p.).
Une simple recherche dans un moteur de recherches montre à quel point :
- le désert chaud est surreprésenté dans l'imaginaire du désert,
- le paysage de désert de sable est surreprésenté dans l'imaginaire du Sahara.
Mieux connaître la diversité des paysages sahariens
Comme le montre l'exemple de Tintin ci-contre, dans l'imaginaire collectif, le Sahara convoque avant tout des images de sable. La culture populaire, de l'événement sportif tel que le Paris-Dakar au cinéma en passant par la bande dessinée, la littérature ou encore la chanson, convoque cet imaginaire de l'immense étendue de sable. En témoigne aussi les champs lexicaux qui entourent les articles et les essais sur le Sahara. Par exemple, le 1 titre "Le Sahara est le grand sablier de notre imaginaire" pour aborder la fascination du Sahara (ou plus précisément d'une partie du Sahara, celle des dunes et des étendues sableuses) et multiplie le champ lexical du sable dans tout le numéro consacré à la "Passion Sahara" (n°259, juillet 2019).
Sans multiplier les exemples, on peut voir à quel point l'imaginaire collectif réduit le Sahara aux paysages de sable. Dans cet imaginaire, le Sahara est d'abord l'espace d'aventures, de dépassement de soi, d'épopées (Michel Roux, 2000, Géographie et complexité. Les espaces de la nostalgie, L'Harmattan, collection Ouvertures philosophiques, Paris, 336 p.), et le sable est l'obstacle "insurmontable" auquel se confrontent ces "héros". À tel point que la définition même de désert est parfois brouillée dans l'imaginaire collectif.
Il convient donc, en classe de géographie, de travailler sur les contraintes dans leur complexité de cet espace qui ne se restreint pas aux étendues sableuses et dans lequel les êtres humains ont développé d'importantes villes. Parce que le Sahara n'est pas une immense étendue de sable dans laquelle la vie est presque impossible (le Sahara est, le plus souvent, représenté comme un désert absolu alors que l'aridité n'y est absolument pas uniforme.
Ne donner à voir que des paysages de sable et d'oasis comme images du Sahara renforce cet imaginaire. Ainsi, Michel Roux notait déjà dans les années 1990 le contraste entre la diversité des paysages du Sahara et l'homogénéité des paysages sahariens représentés dans les ouvrages "grand public" (voir ci-dessus) mais aussi dans les manuels scolaires (Michel Roux, 1996, Le désert de sable. Le Sahara dans l'imaginaire des Français (1900-1994), L'Harmattan, collection Histoires et Perspectives Méditerranéennes, Paris, 204 p.).
Ce décalage entre la diversité des paysages sahariens et la surreprésentation des paysages sableux ne relève pas d'un enjeu encyclopédique, qui viserait à faire apprendre aux élèves des tonnes d'informations. En effet, cette surreprésentation amène les élèves à construire un imaginaire mythique et assez éloigné de l'intégration du Sahara dans la mondialisation ainsi que des enjeux urbains dans cette région du monde.
Ainsi, le géographe Olivier Pliez écrit que "La représentation que l’on se fait des déserts est souvent loin d’être exacte. Aussi, parler du Sahara revient-il très vite à confronter imaginaire et réel. Il faut pourtant se rendre à l’évidence : le Sahara contemporain est d’abord urbain, constellé de villes où se concentre la majeure partie des populations. " (Olivier Pliez, 2013, Villes du Sahara. Urbanisation et urbanité dans le Fezzan libyen, CNRS Éditions, collection Espaces et milieux, Paris, 199 p.).
"Parler du Sahara conduit rapidement à se heurter à la représentation que l’on se fait des déserts. Les « beaux livres » de photographies ou les brochures d’agences de voyage médiatisent des images attendues, celles d’infinités vides, de nomades qui scrutent ces paysages en buvant du thé vert, d’agriculteurs sédentaires passés maîtres dans l’art du ciselage des jardins d’oasis ou des techniques séculaires d’irrigation.
Vu de loin, au prisme de l’imaginaire, des récits de découvertes ou des belles études géographiques menées de l’entre-deux-guerres aux années 1960, le Fezzan, cette vaste région du Sahara libyen longtemps à la croisée de grandes routes caravanières historiques, réunissait a priori les ingrédients de ce que l’on imagine être encore le Sahara. Pourtant, dans cet espace que l’on serait un peu vite tenté de classer parmi les « confins » dont la science sociale coloniale était si friande, point de « civilisation paysanne » similaire à celles que de nombreux travaux ont tenté de circonscrire dans l’ensemble du Maghreb, point non plus de laborieux agriculteurs travaillant ces jardins comme le révélait le piteux état des palmeraies. Au contraire, plusieurs missions, étalées sur trois années, ont révélé l’ampleur du décalage entre l’image que j’avais de cette région, le Fezzan, et ce qui constitue réellement le quotidien de ceux que l’on appelle encore parfois les Fezzanais.
Il faut donc se rendre à l’évidence et constater que le Sahara contemporain est d’abord urbain. Le désert est parsemé de villes où se concentre la majeure partie des populations. Alors pourquoi les photographes ne nous donnent-ils pas à voir ces villes du Sahara ? Sans doute parce que leur objectif, légitime, consiste à vendre du rêve sur papier glacé… Or les paysages urbains sahariens suscitent plutôt la consternation dans le regard des observateurs extérieurs. On ne peut évidemment pas en rester là mais, pour appréhender les mutations sociales et spatiales qu’a connues le Sahara durant ces trois dernières décennies, il est nécessaire d’effectuer un retour sur l’ampleur du processus d’urbanisation au Sahara, les grilles de lecture héritées et celles permettant de comprendre ce que signifie l’urbain dans un espace où l’on ne s’attend a priori pas à le rencontrer."
Source : Olivier Pliez, 2013, Villes du Sahara. Urbanisation et urbanité dans le Fezzan libyen, CNRS Éditions, collection Espaces et milieux, Paris, p. 11.
Le Fezzan étudié par Olivier Pliez n'est pas une exception saharienne : au contraire, il est représentatif de ce "processus d’urbanisation au Sahara [qui] frappe par son ampleur, sa sélectivité spatiale et sa rapidité" (Olivier Pliez, 2013, Villes du Sahara. Urbanisation et urbanité dans le Fezzan libyen, CNRS Éditions, collection Espaces et milieux, Paris, p. 12). Ainsi, c'est l'ensemble du Sahara qui ne peut plus être appréhendé comme un espace "hors de l'urbanisation".
"Pendant longtemps, le Sahara et le Sahel ont été présentés comme des espaces clos, renfermés sur eux-mêmes, peu urbanisés et dominés par un monde rural immuable. Dans cette représentation, l’oasis ou le village sahéliens apparaissaient comme des entités hors du monde et du temps. En 1925, Jean Brunhes suggère qu’une «géographie du tout» est possible à la condition de travailler sur des unités spatiales isolées, «des petits mondes». À ce titre, il propose justement d’étudier «les oasis», «îles humaines» du désert, renvoyant à la métaphore du désert comme un océan où la vie n’est présente que sous forme d’isolats. Objet facile à appréhender, du fait de sa situation insulaire, Brunhes pense qu’il est possible de saisir à partir de l’oasis «les faits de géographie humaine dans leur naturelle et totale complexité».
Il serait bien malaisé d’appréhender de la sorte l’oasis d’aujourd’hui. Celle-ci est souvent une ville de bonne taille, aux connexions parfois endormies — le commerce transsaharien, les flux des déplacés de générations précédentes — qui peuvent être structurantes mais difficilement visibles. Autour d’elle, le monde change. Et l’oasis, comme le désert qui l’environne, en fait bien partie. Les oasis finement ciselées par les jardiniers sédentaires laissent place à des villes habitées et signifiées par des néo-citadins. Loin d’être un isolat à l’écart des dynamiques mondiales, l’oasis contemporaine serait bien plutôt l’émanation de logiques territoriales extérieures, celle sélective des réseaux de transport de marchandises et de migrants comme à Dirkou (Julien Brachet) ou Tamanrasset (Régis Minvielle) par exemple, ou celle plus puissamment uniformisante des États comme dans le cas des oasis du Sahara égyptien (Martine Drozdz). L’exemple de la Nouvelle Vallée en Égypte montre, en effet, combien l’État a lancé et accompagné le développement des oasis intérieures et les villes du littoral, rééquilibrant (partiellement du moins) le territoire. À travers les différents exemples développés dans le dossier, on comprend que les oasis, aussi petites soient-elles, sont des lieux qui structurent un espace autrement plus vaste."
Source : Armelle Choplin et Olivier Pliez, 2015, "(Re)construire l’image des territoires du Sahara et du Sahel", Mappemonde, dossier "Sahara et Sahel, territoires pluriels", n°103.
Comprendre la diversité des paysages sahariens permet de faire comprendre que la contrainte naturelle qu'est l'aridité n'est pas contournée uniquement par le nomadisme et l'exploitation des oasis comme des "poches" dans le désert. Autrement dit, l'aridité ne peut être associée qu'à la très faible densité (et à l'expression, trop souvent employée sans guillemet, de "désert humain", les guillemets rappelant aux élèves qu'il s'agit davantage d'une métaphore que d'une expression scientifique). Au contraire, connaître la diversité paysagère et l'amener à voir aux élèves permet de comprendre la pluralité des réponses des êtres humains face à une contrainte. Il est utile de ne pas renforcer l'image fantasmée du désert de sable, espace d'aventures, de dangers et d'exotisme, qui n'est que le reflet d'un imaginaire occidental qui s'est construit à travers les récits de voyages et les textes du XIXe siècle, dans le contexte de la colonisation et de la quête de l' "exotisme" par les Européens (voir notamment l'introduction dans : Anne-Marie Frérot, 2011, Imaginaire des Sahariens. Habiter le paysage, CTHS, collection CTHS-Géographie, Paris, 182 p.).
Ainsi, Olivier Pliez écrit que "le Sahara est urbain... mais autrement" (Olivier Pliez, 2011, Les cités du désert. Des villes sahariennes aux saharatowns, IRD / Presses universitaires du Mirail, collection Villes & Territoires, Toulouse, p. 9). Il apparaît intéressant de montrer aux élèves la manière dont les êtres humains s'adaptent aux gradients d'aridité dans le Sahara, et non pas de présenter le Sahara comme un tout uniforme.
Ainsi, il s'agit de montrer que les très faibles densités ne signifient pas qu'il y a un "vide". Samuel Depraz rappelle ainsi que se questionner sur l'habiter des marges :
"Les nombreuses recherches sur le Sahara (voir l’article sur Géoconfluences d’Armelle Choplin et d’Olivier Pliez, 2013) nous rappellent également l’importance d’en corriger l’image traditionnelle, héritée de l’orientalisme et de la période coloniale, où l’on ne le considère souvent que comme une mer de sable ponctuée d’oasis et parcourue par des caravanes – ce qui est déjà, au plan géomorphologique, assez faux, les ergs ne couvrant guère que 20 % du total du désert, l’essentiel étant plutôt constitué de regs. On distingue cependant dans ce « vide » apparent plusieurs peuples sahariens : les Toubous (centre-est, massif du Tibesti), les Touaregs (partie centrale, de langue berbère et d’alphabet tifinagh), les Sahraouis (ouest) et les Maures (nord, Maghreb). L’attention à ces différentes cultures nomades et tribales témoigne de modes d’habiter là aussi très diversifiés. Mais, plus encore, le Sahara est un espace de circulation : les « fuseaux méridiens » de Théodore Monod (Pliez, 2002) rappellent cette logique d’ouverture et d’échanges, en accélération avec le bitumage des routes et l’essor de l’économie mondialisée. Aux caravanes du désert ont succédé des convois de camions, des flux de migrants, avec aussi quelques trafics de contrebande (armes, drogues). Le Sahara est aussi convoité pour ses ressources énergétiques (phosphate tunisien ou sahraoui, gaz algérien, uranium du Niger surtout) tout en étant structuré par des implantations industrielles et urbaines majeures : Arlit (Niger, 112 000 habitants) ; Sebha (Libye, 120 000 habitants) ; Tamanrasset (Algérie, 90 000 habitants), Nouakchott (1 million d’habitants). Ouarzazate, « porte du désert » au Maroc (75 000 habitants), voit aussi le développement de la centrale photovoltaïque Noor (2016). De ce fait, le Sahara s’équipe et urbanise, avec une population qui a quadruplé depuis les années 1960. [...]
Déserts « blancs » (Groenland), « jaunes » (Sahara), « bleus » (Vanuatu) ou « verts » (Indonésie) : les cas de figure se répondent d’un bout à l’autre du globe et semblent ainsi faire émerger les caractéristiques d’ensemble des territoires de la basse densité.
Des territoires vides d’hommes, laissés au « sauvage » ? En aucun cas. La basse densité est pleinement habitée, au sens des pratiques et des représentations culturelles des sociétés locales qui la parcourent depuis des générations. Il s’y trouve autant de diversité et de formes de luttes sociales qu’ailleurs, la dispersion des hommes et la distance n’étant qu’une modalité particulière de structuration de ces territoires, tous très investis socialement."
Source : Samuel Depraz, 2020, "Habiter les espaces de faible densité : impensés et richesse des « vides »", Géoconfluences, 11 mars 2020.
C'est pourquoi l'usage, dans le primaire et dans le secondaire, d'expression davantage métaphoriques que scientifiques telles que les "déserts humains" (encore plus sans guillemets) peut créer des implicites qui peuvent produire des incohérences dans l'esprit des élèves. On voit, par exemple, passer des définitions erronées des déserts sur certains sites (parfois académiques) qui caractérisent le désert comme un espace "inhabité". Ce qui est factuellement faux pour la très grande majorité des déserts, et donc ne peut être une définition. Insister sur les termes de base de la géographie physique dans ce billet a ainsi pour objectif de sensibiliser à la réception de ce vocabulaire par les élèves : le peuplement est caractérisé par des gradients de densité, et il est bien plus explicite de les utiliser pour désigner les espaces de fortes contraintes comme des espaces de très faibles densités (faible ne signifiant pas le néant dans l'esprit des élèves).
Pour une démarche en classe intégrant la complexité et la diversité des paysages sahariens
Si l'iconographie des manuels scolaires présente surtout (voire uniquement) les paysages sableux pour aborder le Sahara, il pourrait être intéressant de faire réfléchir les élèves à la pluralité des paysages sahariens comme conséquence d'une même contrainte naturelle - l'aridité - à des gradients différents. Dans un premier temps, il apparaît intéressant d'amener les élèves à repérer tous les paysages sahariens et à les identifier comme des paysages du désert chaud. Une première activité peut amener les élèves à se questionner sur leurs représentations, pour mettre celles-ci en perspective avec la réalité du désert du Sahara.
La diversité des paysages sahariens permet d'amener les élèves à ne pas confondre les caractéristiques qui définissent tous les déserts (l'aridité comme résultat d'un manque de précipitations et de forte évaporation), les caractéristiques spécifiques à certains déserts ou parties de déserts (par exemple, l'absence totale de précipitation qui caractérise le désert absolu est très rare à l'échelle mondiale) et les conséquences de cette caractéristique (par exemple, la faiblesse du couvert végétal est une conséquence de l'aridité, mais elle ne définit pas le désert, sinon cela reviendrait à considérer les oasis comme des territoires non-désertiques en plein désert).
Pour faire comprendre pourquoi un même désert comme le Sahara peut avoir autant de paysages, on peut amener les élèves à confronter plusieurs cartes avec divers critères de géographie physique, notamment en leur faisant observer la diversité des sols et les gradients d'aridité au sein de cette zone caractérisée par l'aridité (notamment avec l'outil numérique "Carte numérique mondiale des zones arides" que les élèves peuvent manipuler pour observer et comparer les zones du Sahara selon leur niveau d'aridité).
La dimension paysagère est un levier pour comprendre les diverses réalités que recouvrent le Sahara en termes de contraintes, et notamment le fait urbain. En montrant plusieurs photographies du Sahara (sans "piège" avec des photographies d'autres espaces, mais sans annoncer que toutes les photographies représentent un lieu du Sahara), il est possible de partir des représentations des élèves en leur demandant de se positionner "dans" ou "hors" Sahara. L'intérêt est de leur montrer que s'ils identifient certains paysages du Sahara comme tels très facilement, d'autres paysages ne correspondent pas directement à leur imaginaire. Les faire argumenter leur choix peut permettre une discussion sur les différentes manières dont l'aridité s'exprime dans l'espace, mais aussi sur les manières dont les êtres humains s'adaptent dans cet espace aux fortes contraintes.
Réfléchir à la place du vocabulaire dans la transmission aux élèves
Pour des élèves du secondaire, certains mots sont des essentiels, tandis que d'autres relèvent du lexique utile pour une étude de cas sans être fondamentaux pour la compréhension et l'explication. Il est ainsi possible de laisser à disposition des élèves une fiche de lexique pour les aider à mobiliser des termes techniques (oued, erg, reg, etc.) pour décrire les paysages sahariens, sans les éloigner des essentiels : comprendre les relations contraintes / adaptabilité / adaptation.
Le fait de décider de ne pas faire apprendre par coeur ce qui relève du lexique et de laisser les élèves manipuler des outils pour accéder au lexique ne signifie pas une moindre exigence en terme de vocabulaire. Ainsi, il convient d'employer un vocabulaire très précis (qu'il s'agisse des essentiels ou du lexique).
En recherchant des illustrations à ce billet, je suis souvent tombée sur des approximations, voire des confusions entre les termes de la géographie physique. S'il ne me semble pas utile de demander aux élèves de retenir des définitions contextualisées (ex : oued, reg, erg, oasis, Hamada, barkhane, gassi, et même désert chaud, désert froid, désert absolu) pour focaliser leur attention sur les essentiels (atout, contrainte, densité de population, désert, adaptation, adaptabilité), cela ne signifie pas que ces termes ne doivent pas être définis avec précision.
Parmi les termes qui peuvent poser des problèmes de définition :
- Tout désert est marqué par l'aridité => il n'est donc pas pertinent de distinguer des "déserts chauds et arides" (c'est une redondance) des "déserts froids" (distinction que j'ai croisée plusieurs fois et qui laisse entendre que les déserts froids ne sont pas arides).
- Il faut bien distinguer l'aridité et la sécheresse. Il n'est pas correct de parler de sécheresse dans les déserts : le manque d'eau y est permanent, c'est une caractéristique de ces milieux qui sont donc marqués par l'aridité. La sécheresse désigne une période (c'est-à-dire un état temporaire) de manque d'eau qui contraste avec les caractéristiques du territoire considéré. Les critères pour déterminer une sécheresse dépendent donc du milieu. Pour désigner l'ensemble des situations de manque d'eau qu'elles soient une caractéristique du milieu (aridité) ou une situation temporaire qui contraste avec les normes du milieu (sécheresse), on parle de pénurie d'eau.
- les paysages des déserts sont pluriels : leur point commun est la faiblesse du couvert végétal et du sol. Ces paysages pluriels sont la traduction paysagère des gradients d'aridité, de la température (déserts chauds / froids) et de la géomorphologie des déserts.
-
- Concernant les déserts froids, les sols sont marqués par le gel permanent. Le pergélisol (parfois désigné par l'anglais permafrost) est la partie gelée en permanence et imperméable d'un cryosol (sol composé de deux parties : le pergélisol gelé en permanence et le mollisol, une couche en surface qui peut se dégeler pendant une partie de l'année. La zone semi-aride des régions froides est marquée par des paysages de toundras (végétation rase des régions polaires surtout composée de mousses et d'herbes).
- Concernant les déserts chauds, l'erg désigne la partie sableuse d'un désert chaud, celle qui est la plus présente dans l'imaginaire collectif, mais qui ne représente qu'une faible partie des déserts chauds (y compris pour le Sahara que l'imaginaire collectif associe au sable). Le reg est la partie rocheuse d'un désert chaud. Le vocabulaire technique du désert chaud est très important (hamada, dune, barkhane, gassi, adrar, aftout, acheb, batha, chott, tamourt, guelta, etc.), mais la description des paysages de déserts chauds dans le secondaire peut contourner cette difficulté, en décrivant les formes de relief et les types de sol.
S'il ne s'agit pas de faire maîtriser ce vocabulaire technique aux élèves, il est essentiel de le maîtriser en tant qu'enseignant pour apporter les étayages (comme une "simple" fiche de vocabulaire) qui permettent aux élèves de s'approprier la complexité géographique des espaces trop souvent représentés comme uniformes (notamment par le biais de la culture populaire et des acteurs du tourisme dans le cas du Sahara). La dimension paysagère est un des leviers de la transmission de la complexité en géographie.
=> Il est donc essentiel de ne pas restreindre le Sahara aux espaces de l'hyper-aridité. Pour faire comprendre comment les êtres humains s'adaptent à leur environnement, tout particulièrement dans le cas des très fortes contraintes, il est essentiel de montrer que les êtres humains savent s'adapter de manière différenciée au sein d'un même espace de contraintes, en en exploitant les atouts, les espaces intermédiaires, les gradients de contraintes.
Quelques propositions bibliographiques
Autour de la construction d'un imaginaire du Sahara :
- Michel Roux, 1991, "Sahara : géographie de l'imaginaire", Mappemonde, n°1991/2, pp. 8-11.
- Michel Roux, 1996, Le désert de sable. Le Sahara dans l'imaginaire des Français (1900-1994), L'Harmattan, collection Histoires et Perspectives Méditerranéennes, Paris, 204 p.
- Michel Roux, 2000, Géographie et complexité. Les espaces de la nostalgie, L'Harmattan, collection Ouvertures philosophiques, Paris, 336 p.
- Anne-Marie Frérot, 2011, Imaginaire des Sahariens. Habiter le paysage, CTHS, collection CTHS-Géographie, Paris, 182 p.
- Armelle Choplin et Olivier Pliez, 2015, "(Re)construire l’image des territoires du Sahara et du Sahel", Mappemonde, dossier "Sahara et Sahel, territoires pluriels", n°103.
Autour de la géographie du Sahara :
- Laurent Bossard (dir.), 2014, "Un atlas du Sahara-Sahel. Géographie, économie et insécurité", Cahiers de l'Afrique de l'Ouest, 255 p.
- Armelle Choplin et Olivier Pliez (dir.), 2015, dossier "Sahara et Sahel, territoires pluriels", Mappemonde, n°103.
- Christian Bouquet, 2017, "Le Sahara entre ses deux rives. Éléments de délimitation par la géohistoire d’un espace de contraintes", Géoconfluences, dossier "Afrique(s) : dynamiques régionales", 19 décembre 2017.
Autour de l'urbanisation dans le Sahara :
- Partie "III/ Les dynamiques urbaines", dans : Marc Cote, 2002? dossier "Le Sahara, cette « autre Méditerranée » (Fernand Braudel)", Méditerranée, vol. 99, n°2002/3-4, pp. 53-120 :
-
- Saïd Belguidoum, 2002, "Urbanisation et urbanité au Sahara", Méditerranée, n°2002/3-4, pp. 53-64.
- Jean Bisson et Vincent Bisson, 2002, "Rôle et évolution de capitales de région dans le fonctionnement de l'espace au Sahara", Méditerranée, n°2002/3-4, pp. 65-70.
- Marc Cote, 2002, "De quelques villes nouvelles au Sahara", Méditerranée, n°2002/3-4, pp. 71-76.
- Abdallah Farhi, 2002, "Biskra : de l'oasis à la ville saharienne", Méditerranée, n°2002/3-4, pp. 77-82.
- Sassia Spiga, 2002, "Tamanrasset, capitale du Hoggar : mythes et réalités", Méditerranée, n°2002/3-4, pp. 83-90.
- Olivier Pliez, 2002, "Sebha, une grande ville du Sahara libyen", Méditerranée, n°2002/3-4, pp. 91-94.
- Mohamed Oudada, 2002, "Une ville dans le Far West saharien : Laayoune", Méditerranée, n°2002/3-4, pp. 95-97.
- Allaoua Seghiri, 2002, "Hassi-Messaoud est-elle une ville ?", Méditerranée, n°2002/3-4, pp. 99-102.
- Mohaamed Chaba, 2002, "Une vieille cité devenue métropole : Ouargla", Méditerranée, n°2002/3-4, pp. 103-106.
- Marc Cote, 2002, "Une ville remplit sa vallée : Ghardaïa", Méditerranée, n°2002/3-4, pp. 107-110.
- Marc Cote (dir.), 2005, La ville et le désert. Le Bas-Sahara algérien, IREMAM / Karthala, Paris, 312 p. (voir des extraits).
- Olivier Pliez, 2011, Les cités du désert. Des villes sahariennes aux saharatowns, IRD / Presses universitaires du Mirail, collection Villes & Territoires, Toulouse, 164 p.
- Olivier Pliez, 2013, Villes du Sahara. Urbanisation et urbanité dans le Fezzan libyen, CNRS Éditions, collection Espaces et milieux, Paris, 199 p.
- Laurent Gagnol, Géraud Magrin et Raphaëlle Chevrillon-Guibert, 2019, "Chami, ville nouvelle et ville de l'or. Une trajectoire urbaine insolite en Mauritanie", L'espace politique, n°38, n°2019/2.
Autour des représentations du Brésil dans les manuels scolaires :
- Solange Parvaux et Jean Revel-Mouroz (dir.), 1991, Images réciproques du Brésil et de la France. Actes du colloque organisé dans le cadre du Projet France-Brésil, Éditions de l’IHEAL, collection Travaux et mémoires, Paris. => voir notamment :
-
- Janine Le Sann, Marie-France Schapira, Hervé Thery et Marie-Hélène Touzalin, 1991, "L’image du Brésil dans les manuels d’histoire-géographie", dans Solange Parvaux et Jean Revel-Mouroz (dir.), 1991, Images réciproques du Brésil et de la France. Actes du colloque organisé dans le cadre du Projet France-Brésil, Éditions de l’IHEAL, collection Travaux et mémoires, Paris, pp. 385-398.
- Ahmed Silem, Cécile Tricoire, Pierre Vergès, Olga Ballesta, Gabriel Brugeille, Lisa Joue et Thierry Saint-Gérand, 1991, "Le Brésil des jeunes. Enquête réalisée dans le cadre de l’ADEPBA auprès des élèves de lycées et collèges sur l’image du Brésil en France", dans Solange Parvaux et Jean Revel-Mouroz (dir.), 1991, Images réciproques du Brésil et de la France. Actes du colloque organisé dans le cadre du Projet France-Brésil, Éditions de l’IHEAL, collection Travaux et mémoires, Paris, pp. 321-353.
- Joëlle Chassin et Anita Pires-Saboia, 1991, "L'image du Brésil dans les manuels de français à l'usage des collèges", dans Solange Parvaux et Jean Revel-Mouroz (dir.), 1991, Images réciproques du Brésil et de la France. Actes du colloque organisé dans le cadre du Projet France-Brésil, Éditions de l’IHEAL, collection Travaux et mémoires, Paris, pp. 425-433.
- Jean-Marc Civardi, 1991, "L'image du Brésil dans les manuels de français à l'usage des lycées", dans Solange Parvaux et Jean Revel-Mouroz (dir.), 1991, Images réciproques du Brésil et de la France. Actes du colloque organisé dans le cadre du Projet France-Brésil, Éditions de l’IHEAL, collection Travaux et mémoires, Paris, pp. 453-459.
- Pascal Clerc, 2002, "Les villes de la culture scolaire en géographie", Mappemonde, n°65, n°2002/1, pp. 34-38.
- Leonardo Moreira Ulhôa, 2017, "Les images des villes brésiliennes dans les manuels scolaires de France et du Brésil : entre mythes et réalités", Confins, n°33.
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