La distinction entre vocabulaire et notions en géographie scolaire (qui ne recouvre pas totalement la distinction entre vocabulaire, notions et concepts en géographie universitaire, qui ne sera pas ici le propos) peut paraître être de l'ordre de l'utile pour discuter entre enseignants, voire du jargon. Pourtant, elle s'avère essentielle afin d'identifier les éléments structurants du raisonnement géographique, tel que doivent l'acquérir les élèves lors de leur scolarité. Pour le dire autrement et plus concrètement, certains termes peuvent paraître essentiels aux élèves, parce qu'ils sont scénarisés comme d'une grande importance au cours d'une séquence, alors même qu'ils ne relèvent "que" du vocabulaire.
Il ne s'agit nullement de dire que le vocabulaire n'a pas son importance ! Il convient même de transmettre (aux côtés des autres disciplines) un vocabulaire riche aux élèves. Néanmoins, distinguer notions et vocabulaire est très utile, en amont, dans la préparation d'une séquence. Il s'agit d'abord de prioriser les savoirs, entre ce qui relève de la compréhension (le vocabulaire) et ce qui relève du raisonnement géographique (les notions). Par exemple, le terme de bidonville dans le sous-thème "La répartition de la richesse et de la pauvreté dans le monde" en classe de 5e relève du vocabulaire : il permet de qualifier un type d'espace de la pauvreté (mais pas la seule forme, tout espace de la pauvreté n'étant pas informel). Pour l'élève, il peut être nécessaire dans la compréhension de documents à analyser, il peut servir à la construction d'un croquis de paysage. Mais, il ne structure pas les connaissances à comprendre dans ce sous-thème (à savoir l'inégale répartition des richesses dans l'espace, ses facteurs et ses conséquences). À l'inverse, le terme "pauvreté", même s'il semble relever de l'évidence dans le vocabulaire, est une notion : c'est cet état qui est structurant dans l'organisation de l'espace, différenciant des territoires par des critères économiques, mais aussi produisant des paysages, des habiters et des mobilités spécifiques. Cette priorisation permet de savoir fixer des objectifs (notamment en terme d'évaluation) cohérents sur un parcours scolaire (et non pas seulement à l'échelle d'un sous-thème, ou même d'un seul thème).
De plus, la différence entre vocabulaire et notions permet à l'enseignant de mettre en avant le raisonnement géographique dans sa démarche enseignante. Par exemple, les différentes formes de tourisme (tourisme de masse, tourisme durable, tourisme "macabre", etc.) relèvent du vocabulaire utile pour comprendre des documents au sein du sous-thème "Le tourisme et ses espaces dans le monde" en classe de 4e, mais ne relèvent pas des notions. Le titre même de ce sous-thème est explicite quant à la place du raisonnement géographique dans la démarche enseignante : plus que la diversité érudite des formes de tourisme, il s'agit d'amener les élèves à comprendre l'inégale répartition du tourisme (où ?) à plusieurs échelles (raisonnement multiscalaire), les logiques d'implantation (pourquoi ici et pas ailleurs ? quels facteurs et acteurs expliquent cette inégale répartition ?), et les conséquences de cette inégale répartition (avec notamment des formes émergentes de tourisme). Mais, une fois ce sous-thème "passé", l'élève n'a pas "besoin" de retenir toutes les formes de tourisme, il ne doit pas être un technicien du tourisme, son savoir ne doit pas être un catalogue sur le tourisme. Il s'agit bien, par le tourisme, de comprendre les logiques de la mondialisation, à savoir ici la multiplication des échanges et des flux à l'échelle mondiale telle qu'elle participe à la mondialisation et telle qu'elle sélectionne des territoires en en marginalisant d'autres.
L'idéal est de définir une liste de notions pour chaque niveau à l'échelle de l'établissement scolaire et d'en uniformiser les définitions. Ce travail collectif permet ainsi de définir ensemble des objectifs de connaissances, sans nécessairement que l'un ou l'autre des collègues n'impose sa manière de les transmettre. Il favorise la mémorisation des élèves en leur offrant un cadre commun, transversal entre les niveaux, sans pour autant que les pratiques enseignantes soient uniformisées (alors que leur diversité est une richesse dans le parcours des élèves, qui croisent des manières de faire qui leur conviennent plus ou moins et leur permettent d'apprendre à s'adapter à différents rythmes et différentes didactiques).
Ces pistes de réflexion sont volontairement courtes. Il ne s'agit pas ici de proposer un article scientifique sur la didactique de la géographie, mais bien un appel à la réflexion, par les enseignants eux-mêmes, en amont, lors de la réflexion sur leur pratique enseignante précédant la conception des cours, sur l'importance de distinguer ce qui relève du vocabulaire (nécessaire pour la constitution d'une culture et de savoir-faire liés à l'argumentation) et de notions (fondamentales dans la maîtrise du raisonnement géographique).
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