· 

Nommer les lieux, enjeu géographique et géopolitique (1) : réflexions introductives

 

"Lors de sa prestation de serment, Gordana Siljanovska-Davkova, première femme présidente de la Macédoine du Nord, a refusé de prononcer le nouveau nom du pays adopté après un accord « historique » avec la Grèce." ("Macédoine du Nord : la nouvelle présidente refuse d’utiliser le nom officiel du pays", Le Monde, 12 mai 2024).

 

Cet événement parvenu le 12 mai 2024 est le point de départ d'une série de billets autour de la toponymie et de ses enjeux géographiques et géopolitiques.

 

Pour les élèves, "nommer" est une consigne qui les amène à donner le nom d'un lieu, d'un espace, d'une région, d'un fleuve, etc. L'opération semble simple : le lieu a un nom. Pourtant, "nommer le territoire est un acte politique fondateur [...] Le nom de lieu est toujours un enjeu, dans la mesure où son choix met en présence différents acteurs, différents projets, et des représentations identitaires ou fonctionnelles souvent conflictuelles dont certaines seront finalement promues" (Frédéric Girault, Myriam Houssay-Holzschuch et Sylvain Guyot, 2008, "Au nom des territoires ! Enjeux géographiques de la toponymie", L'Espace géographique, vol. 37, n°2008/2, p. 97).

 

Ainsi, pour Paul Claval, "il ne suffit pas de reconnaître et de s'orienter. L'explorateur veut conserver la mémoire des terres qu'il a découvertes et les faire connaître à tous ; pour parler des lieux et des milieux, il n'est d'autre moyen que de procéder au baptême du terrain et à l'élaboration d'un vocabulaire propre à qualifier les diverses facettes de l'espace" (Paul Claval, 2003, Géographie culturelle. Une nouvelle approche des sociétés et des milieux, Armand Colin, collection U, Paris, p. 121).

 

Nommer les lieux ne permet donc pas seulement de s'orienter, mais aussi de s'approprier l'espace et de construire une identité spatiale. "Le nom est l’un des attributs du territoire : il le désigne, le situe et devrait même qualifier ou symboliser sa substance, voire son essence" (Frédéric Girault, Myriam Houssay-Holzschuch et Sylvain Guyot, 2008, "Au nom des territoires ! Enjeux géographiques de la toponymie", L'Espace géographique, vol. 37, n°2008/2, p. 98).

 

Le nom est un marqueur important de l'identité de la même façon que l'enfant ne peut se reconnaître dans la société si on ne lui donne pas de prénom, la place des lieux est traduite par le nom qu'on leur donne. Ainsi, la toponymie est un marqueur spatial complexe : elle témoigne des traces du passé (et notamment des fonctions précédentes de l'espace, comme par exemple une "rue des Grands champs" en plein coeur d'un espace aujourd'hui très fortement urbanisé) et de l'appropriation du territoire.

 

En ce sens, la toponymie est à la fois facteur et révélatrice de conflits, dans des cas de contestations des toponymes (comme dans le cas du conflit toponymique entre la Chine et l'Indonésie pour nommer la mer qui s'étend au Nord de l'archipel de Natuna). Elle est aussi un enjeu dans le cas de la néotoponymie, c'est-à-dire de la nomination des nouveaux territoires (Frédéric Giraut et Myriam Houssay-Holzschuch, 2008, "Néotoponymie : formes et enjeux de la dénomination des territoires émergents", L'espace politique, n°2002/2), témoins de l'émergence d'entités territoriales issues d'un processus de recomposition de ces territoires (comme par exemple des intercommunalités nouvelles).

 

C'est ainsi qu'il est souhaitable de proposer aux élèves de comprendre certains toponymes, de rencontrer certaines rivalités autour des toponymes, pour comprendre que derrière la consigne "nommer" ne se joue pas seulement une question d'orientation dans l'espace.

 

Écrire commentaire

Commentaires: 0