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Tous les concours de l'enseignement doivent-ils être alignés ? Petit plaidoyer pour reconnaître la didactique et la spécificité des disciplines dans le 2ndaire

 

Il est très intéressant de voir des collègues d'autres disciplines questionner les réactions de celles et ceux qui ont réagi contre le projet d'alignement du programme du CAPES d'histoire et de géographie aux programmes d'autres CAPES. Lorsque j'étais membre du jury dy CAPES, c'était déjà une discussion que nous avions, la volonté de voir le programme de l'histoire-géographie aligné à celui d'autres disciplines n'étant pas nouveau. Cela nous a permis de réfléchir en amont de cette annonce à ce qu'elle signifie réellement. Je vois dans ces remarques des interrogations sincères, un étonnement justifié, et une véritable occasion de discuter, débattre, avancer ensemble.

 

 

Sans prétendre avoir raison, ce n'est pas le propos, voici mes réflexions sur le fait que l'alignement n'est pas une chose souhaitable pour l'histoire et la géographie d'une part, pour toutes les disciplines d'autre part.

 

 

 

Toutes les disciplines sont-elles réellement comparables et donc "alignables" ?

 

Aligner signifierait que les attendus évalués lors des concours sont toujours comparables. Je m'excuse par avance si je n'emploie pas les mots exacts dans la suite de la démonstration, cela témoigne de l'existence de didactiques disciplinaires spécifiques, ce qui témoigne de mon plaidoyer : toutes les disciplines ont une didactique parce que tout n'est pas comparable entre elles.

 

Si je prends les langues vivantes, il me semble que l'enjeu pour les candidats comme pour le jury n'est pas d'évaluer une somme de connaissances sur la littérature anglaise du XIIIe au XVIIIe siècle, mais bien d'évaluer un niveau linguistique élevé, à l'écrit comme à l'oral. Les enseignants transmettront ce niveau linguistique par de grandes thématiques, pour lesquelles ils seront tout à fait aptes de se documenter, de se former, peu importe qu'ils aient approfondi le harcèlement scolaire, la culture culinaire au Mexique ou encore la tragédie shakespearienne. La somme de connaissances sur les thèmes étudiés n'est pas l'enjeu dans la transmission d'une langue. Si l'enseignement des langues vivantes a un rôle majeur dans l'élaboration de la culture générale des élèves et dans leur ouverture au monde (intégrant ainsi le parcours citoyen des élèves, en travaillant leur esprit critique), ce n'est pas par un programme sur des thématiques spécifiques que l'on pourra recruter des enseignants en langues vivantes, qui doivent avant tout montrer leur maîtrise linguistique à un niveau très élevé, bien au-delà de celle des élèves du secondaire. Ainsi, si on le compare à l'histoire et à la géographie, ce premier exemple montre que les enjeux ne sont pas les mêmes lors des épreuves. Et pourtant, il y a bien un point commun : pour les langues vivantes, recruter sous la forme de questions pointues serait un non-sens puisque la culture générale prévaudrait sur la maîtrise linguistique ! Il semble donc cohérent que la partie "culturelle" soit celle qui est transmise dans le secondaire, en mettant l'accent lors du concours sur la très bonne maîtrise linguistique des candidats. Pour l'histoire-géographie, c'est l'inverse qui prévaudrait avec un programme saupoudrant 16 thématiques non problématisées dispersées sur deux disciplines : cela reviendrait à dire que l'enseignant d'histoire-géographie est un bon candidat en culture générale, qui transmet des savoirs écrits et formatés sans recul disciplinaire.

 

L'objectif n'est pas de multiplier les exemples, mais on peut discuter l'exemple inverse avec l'E.P.S. qui n'évalue pas les candidats sur les seuls savoirs transmis dans le secondaire, avec, par exemple, une épreuve écrite disciplinaire dans laquelle les candidats sont interrogés bien au-delà de ce qu'ils transmettront aux élèves. Sous la forme d'une dissertation, "l'épreuve vise à contrôler la connaissance et la maîtrise de la discipline éducation physique et sportive et à évaluer la capacité du candidat à mobiliser des connaissances issues des sciences humaines et sociales et validées par la recherche. Ces connaissances d’appui doivent permettre de répondre aux enjeux sociaux, historiques, culturels, éducatifs et scolaires de la discipline afin de mieux comprendre les mutations actuelles d’une discipline d’enseignement obligatoire pour tous les élèves du second degré au sein du système éducatif français" (source : programme du CAPEPS pour la session 2024, publié en juin 2023). Exemples de sujets aux écrits (voir la liste de sujets) :

  • en 2024 : "Comment les enseignants d’EPS ont-ils promu les valeurs du sport depuis 1936 ?"
  • en 2023 : "Montrez que l’Éducation physique et sportive, depuis 1936, a toujours souhaité répondre aux attentes sociétales et scolaires"
  • en 2022 : "« L’enseignant doit exercer sa pleine responsabilité de concepteur afin de définir les contextes d’apprentissage spécifiques dans lesquels ses élèves pourront s’engager et, ainsi, s’enrichir, se cultiver, se développer, et réussir leur projet personnel de formation » (Arrêté du 17 janvier 2019 fixant le programme d’enseignement commun et d’enseignement optionnel d’EPS du lycée général et technologique). Dans quels contextes historiques et à quelles conditions les enseignants d’EPS ont-ils été en mesure d’exercer cette responsabilité ? Pour répondre à cette question, vous bornerez votre analyse de 1945 à nos jours."
  • en 2021 : "« L’école entretient un rapport ambigu avec les pratiques culturelles de ses élèves. Selon les contextes, les moments et la nature des pratiques, on attend que l’institution scolaire aide à les construire, qu’elle les encourage ou qu’elle contribue à la délimitation entre la culture « légitime » et les « loisirs ». » (Dossier de veille de l'IFE, "Les cultures adolescentes, pour grandir et s’affirmer", n°110, avril 2016). L’enseignement de l’EPS est-il révélateur de cette ambiguïté depuis les années 1960 ?"

Je ne prétends pas être spécialiste, ni même à l'aise de parler ici de l'E.P.S., mais il ne me semble pas que cette épreuve est directement lié aux connaissances transmises par les collègues dans le secondaire, mais demande bien au-delà de cette transmission un recul sur la discipline et sur son rôle social et scolaire.

 

S'agira-t-il d'aligner aussi ce concours en retirant cette épreuve, alors même que le CAPEPS est connu pour avoir de grandes exigences didactiques ? Pourquoi pas, je n'ai aucun recul sur l'E.P.S. en particulier, mais dans ce cas, quelle épreuve pourrait remplacer cet écrit réflexif ? S'il faut absolument aligner sur les savoirs enseignés stricto sensu dans le secondaire, ne risque-t-on pas de créer un écrit artificiel voire superficiel pour l'E.P.S. ? Il me semble en tout cas que le choix de tout aligner questionne tout autant l'EPS que l'histoire-géographie (voire d'autres disciplines, le l'objet ici n'est pas de multiplier les exemples).

 

 

 

En bref : quelques réflexions et quelques questionnements

  • Aligner est cohérent si l'on pense que toutes les disciplines sont équivalentes dans leurs attendus, dans les prérequis des enseignants, dans leur didactique. Il me semble au contraire, en discutant mais aussi en observant des séances de langues vivantes ou d'E.P.S. depuis des années dans mon établissement, que toute mon expertise pédagogique ne suffirait à me permettre d'enseigner ces disciplines, même en ayant travaillé à fond les connaissances des programmes scolaires. Il me semble qu'il me faudrait bien plus, par-delà les programmes, par-delà une question de connaissances pour les langues vivantes, l'E.P.S. ou toute autre discipline. Je crois que l'enseignement dans le secondaire ne gagnerait pas à penser qu'il faut des "transmetteurs de connaissances" sans recul, sans didactique particulière. Si la pédagogie me semble essentielle dans sa transversalité (je défends très souvent sur ce blog les apports des sciences cognitives ainsi qu'une approche collective du travail personnel de l'élève, par exemple), elle ne peut se substituer à la didactique. Il m'a semblé que c'est en maîtrisant chaque jour un peu plus les deux dimensions de la pratique enseignante que mes enseignements sont devenus efficaces.
  • Pour comparer, il faut établir des critères de comparabilité. Or, l'alignement de tous les CAPES sur un programme similaire et interchangeable (dans le sens où il s'agirait juste d'y coller le nom de la discipline pour le changer) ne relève pas de critères de comparabilité, mais d'un présupposé non questionné : tous les savoirs disciplinaires se vaudraient, s'enseigneraient et se transmettraient avec les mêmes prérequis. Il me semble au contraire que les uns et les autres avons notre propre expertise, dans notre discipline, dans notre didactique, mais que celle-ci n'est pas transposable à toutes les disciplines, à toutes les didactiques. C'est d'ailleurs, à mon sens, un des enjeux de la formation initiale et de la formation continue : savoir allier la didactique et la pédagogie, sans défaire l'un au profit de l'autre.
  • Ce débat est, à mon sens, particulièrement important, par-delà une impression de repli disciplinaire : il questionne sur la didactique et sa place dans l'enseignement, mais aussi dans nos propres représentations. Il questionne aussi sur des points qui me semblent menacés désormais : quelles compétences attend-on des enseignants désormais ?

 

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