En lien avec le jalon "Pour séparer deux systèmes politiques : la frontière entre les deux Corée" de l'axe 1 "Tracer des frontières, approche géopolitique" du thème 3 "Étudier les divisions politiques du monde : les frontières" du programme de spécialité HGGSP (histoire géographie géopolitique et sciences politiques) de la classe de Première, je republie ici, sans aucune modification, un billet que j'avais publié sur le blog Géographie de la ville en guerre le 1er avril 2016.
Ce choix de partager à nouveau ce billet ici s'explique par le parti pris du billet : proposer une lecture géographique de la frontière intercoréenne par la dimension paysagère. Ce partage vise à aider à intégrer la dimension géographique dans le programme de spécialité, dont l'écriture porte plus "aisément" à une approche historique et peut mettre en difficulté pour intégrer l'approche géographique, au-delà de la lecture de cartes.
- paysages de destruction dans le cas des guerres (on ne parle volontairement pas de « paysages de ruines » puisque l’esthétique définit la ruine par le temps long),
- paysages de frontières dans le cas de la matérialisation de la frontière par un mur comme réponse à une menace sécuritaire perçu comme une conflictualité – un potentiel de conflit – par les acteurs de la gouvernance de ce territoire,
- paysages militaires (inscription des dispositifs militaires dans le paysage) [1].
- le marquage-présence : marquage de l’espace caractérisé par « la présence des corps et des signes dont ils sont porteurs (habits, pancartes…) lors d’événements récurrents (manifestations, défilés, fêtes…) ou exceptionnels, qui « marquent » les esprits et associent un lieu à des groupes sociaux ou à des institutions qui s’y mettent en scène » [2]
- le marquage-trace : marquage de l’espace caractérisé par « la fabrication, la réutilisation (voire la destruction) de repères signifiants (bornes, barrières, pancartes, graffitis, sculptures, monuments…) qui s’inscrivent plus ou moins dans la durée et laissent une trace » [3].
- conflits dits « non armés » curatifs (après que le projet ne soit devenu effectif) ou d’implantation (avant la réalisation du projet),
- conflits liés au tourisme, notamment des conflits d’usages (cf. diverses occupations d’un lac pour des activités liées à la même fonction – le tourisme –, mais pas à la même acception de ce qu’est la pratique touristique – tourisme vert, tourisme de masse, tourisme balnéaire, tourisme familial, etc.) ou au tourisme de mémoire.
- la mise en scène et la médiatisation des espaces de conflits par les acteurs du conflit et/ou de la gestion du conflit (et de fait l’utilisation, voire la manipulation, du paysage pour faire du conflit et/ou de la gestion de conflit),
- les représentations de l’espace, et tout particulièrement le « système de filtres de représentation » tel que l’identifie le géographe Jean-Pierre Paulet [6],
- la mémoire des conflits (à la fois dans la production d’un tourisme de mémoire et dans le processus de patrimonialisation des lieux de mémoire).
- « La frontière matérialise dans l’espace une séparation entre deux groupes, deux ensembles dont les rapports de force ont produit un découpage de l’espace à un moment donné dans le cadre d’une évolution historique de leurs relations » (Fabien Guillot).
- La matérialisation de l’espace frontalier constitue une discontinuité spatiale et territoriale : le paysage de frontière est alors un outil pour produire une territorialisation de l’espace politique de part et d’autre de la frontière.
- « Au nord et au sud de la DMZ, des clôtures, des lignes de barbelés, des tranchées tracent un paysage géomilitaire asymétrique » [7].
- « Niée par les deux Etats coréens de 1948 à 1953, elle se transforme en une véritable barrière frontalière, militarisée et fortifiées » [8]. Les dispositifs frontaliers s’inscrivent ici dans le paysage pour produire un paysage de guerre. Leur multiplicité (tant dans les formes que dans le nombre) est construite par le politique pour faire frontière :
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- emmurement : La frontière est marquée par un corridor continu composé de deux ou trois rangées de barbelés. Le paysage dessine donc une frontière-ligne visible par tous.
- dispositifs sécuritaires : La zone de sécurité conjointe est marquée par des tranchées, casernements et des check point qui s’ajoutent aux barbelés. Le paysage dessine alors une frontière-zone.
- marquage-trace [9] : La présence des patrouilles militaires participe de cette appropriation de la frontière et de la production d’un paysage de conflit.
- Alors que les acteurs de deux « Corées » (Corée du Nord comme Corée du Sud) ne parlent eux-mêmes pas de « mur » pour nommer l’espace frontalier entre les deux Corées, cette représentation de la frontière est fortement ancrée dans l’imaginaire spatial à l’échelle mondiale. Par exemple, toutes les publications récentes sur les murs-frontières évoquent systématiquement la frontière intercoréenne comme un mur. La représentation de ce qui fait frontière ici évoque directement l’enclavement de la Corée du Nord.
- Cet enclavement est à la fois politique, économique et paysager. Dans le paysage, cette situation de fermeture spatiale se traduit à la fois par une militarisation de l’espace et par une « publicisation » de cette fermeture. L’utilisation de la dimension paysagère comme violence politique est un construit politique et social qui se traduit par la fermeture comme « marketing territorial » du côté nord-coréen. En effet, la mise en scène du paysage de conflit participe de la construction d’une représentation de la Corée du Nord comme enclave politique dans le système mondial.
- Pourtant, l’inétanchéité de ce mur a été récemment remise en cause par les acteurs politiques coréens (nord-coréens et sud-coréens) eux-mêmes : en 2010 puis en 2013, des familles séparées depuis la guerre de Corée (1950-1953) et la partition de la Corée en deux Etats (1953) ont eu l’occasion de se retrouver lors de rencontres qui ont fait franchir aux familles sud-coréennes la frontière « infranchissable » (en 2010, ces rencontres entre proches ont été organisées par la Croix-Rouge ; à l’été 2013, le gouvernement de la Corée du Nord a accepté la proposition du gouvernement de la Corée du Sud de voir quelques centaines de Sud-Coréens rencontrer leurs proches en Corée du Nord).
- Dès lors, le paysage de frontière est mis au service du conflit et de sa gestion, tels qu'ils sont mobilisés par les acteurs intercoréens.
- Cette forte médiatisation de la frontière intercoréenne comme paysage de conflit se traduit par la production d’un « tourisme de conflits » du côté sud-coréen. En effet, « ce dispositif hautement sécurisé, en raison des tensions très vives perdurant entre les deux voisins (les deux Etats sont toujours en guerre puisqu’aucun traité de paix n’a suivi l’armistice), est devenu une attraction de première importance » (Jean-Christophe Gay, cf. documents page suivante). La proximité de la capitale sud-coréenne (à 60 km au Sud de la frontière intercoréenne) et la très forte publicité des agences touristiques qui proposent un « DMZ Tour » ont favorisé la « touristification » de cette frontière.
- Il s’agit bien d’un tourisme de conflits, dans lequel l’enclavement paysager et l’emmurement de la frontière font office de « spectacle paysager ». Les touristes viennent pour voir la frontière-fermeture : « la visite organisée commence incontestablement par l’impressionnante entrée dans la zone d’accès limité qui borde la partie sud-coréenne de la DMZ : un contrôle strict des passeports par des militaires en tenue de combat qui possèdent la liste de tous les visiteurs, une multitude d’engins de guerre, des grillages, des chicanes ou l’interdiction de prendre des photos du checkpoint font prendre tout de suite conscience que l’on pénètre dans un lieu sous haute tension. Les clôtures électrifiées, les miradors, les puissants projecteurs, les casernes, les multiples militaires que l’on croise et qui entretiennent les abords des sites touristiques ne font que renforcer ce sentiment » (Jean-Christophe Gay). La dimension paysagère du conflit produit donc du tourisme.
- Ce « tourisme de conflits » est à la fois le produit du conflit (dans son inscription paysagère) et un construit : les visiteurs ne sont pas emmenés, par les tours organisés, n’importe où sur la frontière intercoréenne. Au-delà de la seule question de la sécurité, il s’agit bien de les emmener dans un lieu qui fait frontière de conflits, c’est-à-dire qui représente les attentes des touristes. Les visiteurs sont donc amenés dans un haut-lieu de la frontière : une zone d’accès limité fortement sécurisée, où tous les dispositifs sécuritaires qui représentent la frontière dans sa dimension la plus conflictuelle sont présents.
- Fabien Guillot, 2004, « Contrôle et marquage de l’espace : l’appropriation de l’espace frontalier », ESO Travaux et Documents, n°21, pp. 19-22, en ligne : http://eso.cnrs.fr/fr/publications/eso-travaux-et-documents/n-21-mars-2004.html
- Vincent Veschambre, 2004, « Appropriation et marquage de l’espace : quelques éléments de réflexion », ESO Travaux et Documents, n°21, pp. 73-77, en ligne : http://eso.cnrs.fr/fr/publications/eso-travaux-et-documents/n-21-mars-2004.html
- Jean-Christophe Gay, 2009, « Photo Line sur la Demilitarized Zone (Corée du Sud) », ADRETs, rubrique « La photographie du mois », novembre 2009, en ligne : http://www.adrets.net/PhotoMois9.htm
- Laurent Quisefit, 2013, « Le 38e parallèle nord et la dyade coréenne : origines et mutations d’une barrière frontalière », L’espace politique, n°21, en ligne : http://espacepolitique.revues.org/2698
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