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Les missions des coordo R.E.P. (2) : Des outils pour connaître son territoire

 

Pour les coordo R.E.P., connaître son territoire, c'est à la fois en connaître les acteurs et les particularités, mais aussi pouvoir prendre un pas de recul et comparer les ressentis locaux à des réalités plus globales (ici, l'oeil de la géographe m'est précieux dans la mission de coordo R.E.P., puisque le changement d'échelles est "dans l'A.D.N." des géographes !).

 

Pour connaître son territoire, il n'est pas inutile d'utiliser des données statistiques qui permettent de situer le réseau d'éducation prioritaire à plusieurs échelles. Parmi les questions qui permettent de se situer, on peut en noter quelques-unes pour lesquelles les informations sont aisément accessibles et permettent au coordo R.E.P. de prendre un pas de recul entre son ressenti, le ressenti des acteurs éducatifs locaux et la réalité du terrain :

  • Est-ce un "gros" réseau à l'échelle départementale, à l'échelle académique, à l'échelle nationale ?
  • Les écoles du réseau ont-elles des tailles "humaines" ? Et les collèges du réseau ?
  • Quels types de difficultés sociales ont permis le classement du territoire en réseau d'éducation prioritaire ?

Ces questions amènent à traiter des données territoriales. Celles-ci sont accessibles grâce à plusieurs services de l'État, et, en premier lieu, l'Éducation nationale qui fournit des données statistiques précises sur les établissements scolaires.

 

 

 

Les données permettent d'obtenir de nombreux renseignements sur le réseau d'éducation prioritaire, ses établissements (collège et écoles) et sur le territoire dans lequel s'inscrit ce réseau.

 

Par exemple, en prenant la coordo R.E.P. après quelques années dans mon collège, j'avais quelques certitudes, quelques impressions et quelques questionnements sur le territoire du réseau d'éducation prioritaire Annemasse 1 :

  • Le collège était un "méga-collège" en termes d'effectifs (et de place disponible par personne) et les écoles qui l'approvisionnent sont, elles aussi, des "méga-écoles" ;
  • L'ensemble du bassin genevois souffre de ces sureffectifs, dans un contexte de forte croissance démographique (liée à la fois à l'accroissement naturel, mais surtout au solde migratoire du fait de l'attractivité de Genève), sans que les politiques d'aménagement du territoire ne soient suffisantes face au comportement démographique du territoire ;
  • Le territoire annemassien n'est pas marqué par une grande précarité, mais il est surtout confronté au niveau de vie "sur-boosté" par l'effet de frontière, le salaire minimum sur le territoire place en situation de pauvreté : les IPS ne sont donc pas nécessairement les indices les plus parlants pour comprendre la précarité culturelle, sociale et économique du territoire.

 

Pour répondre à ces questionnements, confirmer ou infirmer mes ressentis sur le territoire, les données statistiques du site de l'Éducation nationale apportent de nombreux premiers éléments (qui sont, par la suite, à confronter à d'autres sources, et notamment aux données de l'I.N.S.E.E.).

 

 

Exemple de données du site de l'Éducation nationale

 

 

Les données peuvent être utilisées sous la forme de tableaux statistiques, mais aussi paramétrées pour être récupérées sous la forme de graphiques (ce qui rend les données plus visuelles et peut être un outil de communication au sein du réseau plus propice que des données brutes).

 

Voici, à titre d'exemples, quelques réponses apportées par ces données concernant le réseau d'éducation prioritaire Annemasse 1, qui confirme certains vécus mais en infirment d'autres, confortant l'idée que le seul ressenti n'est pas suffisant pour comprendre et déterminer les besoins réels d'un territoire d'éducation prioritaire.

 

 

Les idées préalables


UN "MÉGA-COLLÈGE" ?

L'impression que le collège Michel Servet, tête du réseau d'éducation prioritaire Annemasse 1, est un collège à très grand effectif s'avère correct. Le graphique montre que 226 collèges (123 publics et 103 privés) dépassent les 900 élèves. Avec plus de 1.100 élèves à la rentrée (ce qui ne comptabilise pas les très nombreuses arrivées d'élèves au cours du mois de septembre notamment, fait particulier lié au dynamisme migratoire du territoire), le collège Michel Servet dépasse très nettement la moyenne nationale. Ici, la réalité rejoint le vécu du terrain.

 

UN MÉGA-COLLÈGE À TOUTES LES ÉCHELLES ?

En termes d'effectifs, le collège est le plus important du département, et il le reste à l'échelle de l'académie. On peut également rapidement repérer la très forte concentration spatiale des collèges à très hauts effectifs grâce à ces données, puisque 4 des 5 collèges aux effectifs les plus élevés du département sont situés dans la même communauté de communes, Annemasse Agglo.

 

En changeant d'échelle, on constate une autre réalité : la sous-dotation en établissements scolaires du département de Mayotte, avec 9 collèges sur 22 de plus de 1000 élèves, dont un collège de plus de 1800 élèves...

Les données


 

=> C'est important, pour les coordo R.E.P., de garder à l'esprit les ordres de grandeur et les conditions des uns et des autres, en sachant ce qui est comparable à l'échelle locale, à l'échelle départementale, à l'échelle académique et à l'échelle nationale, en fonction des acteurs avec lesquels les coordo R.E.P. sont amenés à discuter. 



DES MÉGA-ÉCOLES ?

Si les écoles du réseau d'éducation prioritaire sont, de manière incontestable, de "grosses écoles", la consultation des données chiffrées permet de replacer l'effet de taille dans le contexte local et départemental, au-delà des premières impressions.

 

À l'échelle nationale, les écoles comprennent entre 25 et 951 élèves. l'écart entre les deux est plus que conséquent ! Et difficilement comparable, puisqu'il met en corrélation des espaces de l'hyper-ruralité et des territoires de l'hyper-centralité urbaine.

 

Comparons le comparable : les écoles du territoire annemassien comptent entre 175 et 516 élèves à la rentrée 2022. Certaines écoles parmi les plus petites sont des écoles primaires (qui regroupent la maternelle et l'élémentaire) (ex : école primaire Simone Weil avec 175 élèves) et certaines écoles aux effectifs les plus nombreux ne sont "que" des écoles élémentaires (il faudrait, pour pouvoir comparer plus précisément, leur additionner le nombre d'élèves de l'école maternelle éponyme, ce que ne fait pas automatiquement le tableau ci-contre).

 

Les écoles du réseau d'éducation prioritaire sont "coupées" entre maternelle et primaire (voire même, dans le cas de l'école Bois Livron entre cycles 1 et 2 dans l'école et cycle 3 dans l'école primaire La Fontaine, ce qui complique le comptage et la comparabilité).

 

Ce que révèlent les chiffres n'apporte pas de grandes surprises par rapport au vécu du territoire, mais des nuances importantes, pour la coordonnatrice R.E.P., dans le dialogue avec les acteurs. Globalement, les écoles annemassiennes sont de grosses écoles. À l'échelle du département, les écoles du réseau d'éducation prioritaire ne sont pas les plus grandes écoles des 4 R.E.P., mais cela reste des écoles importantes, avec des écoles maternelles de plus de 200 élèves et des écoles primaires de plus de 350 élèves.  


 

 

Mais, fait important, ce n'est pas spécifique aux écoles du réseau d'éducation prioritaire (on pourrait le supposer en se baladant dans le quartier concerné, du fait de la très forte densité de bâti résidentiel et du nombre de constructions en cours). C'est bien tout le territoire annemassien qui est concerné. C'est une problématique globale, qu'il ne faut pas restreindre à la seule éducation prioritaire.

 

 



UNE FRAGILITÉ ÉCONOMIQUE RELATIVE À L'ÉCHELLE NATIONALE, MAIS FORTE À L'ÉCHELLE LOCALE

Pour l'année scolaire 2022-2023, mon établissement, le collège Michel Servet à Annemasse, a l'indice de position sociale (IPS) le plus faible de tout le département de Haute-Savoie. Selon l'échelle considérée, cet indice peut paraître moyen (ne caricaturons pas, il n'est jamais élevé !) ou très bas. En effet, la Haute-Savoie est un département aux dynamiques spécifiques entre un tourisme très important et très lucratif (Annecy, stations de sports d'hiver et stations thermales) et l'attractivité de Genève, ville qui emploie de très nombreux cadres dans la finance et la diplomatie internationales.

 

À l'échelle de l'académie, 10 collèges ont des IPS plus faibles (sur un total de 327 collèges). Cela situe le territoire parmi les plus fragilisés en termes d'IPS, et donc donne quelques indications sur la précarité culturelle et sociale des publics accueillis.

 

Néanmoins, une comparaison académique (et plus encore une comparaison nationale) pose ici des problèmes de comparabilité et n'est pas nécessairement pertinente : le niveau de vie en Haute-Savoie est globalement très haut, et fait du territoire annemassien une "poche de précarité" au sein d'un territoire très riche où les populations (notamment les travailleurs frontaliers) ont des niveaux de vie très élevés. Ici, l'échelle du département est pertinente et permet de comprendre le positionnement local : les 4 collèges qui ont les IPS les plus faibles sont aussi les 4 têtes de R.E.P. dans le département.

 


Autre information locale : le collège voisin de Ville-la-Grand, avec un effectif qui dépasse les 1000 élèves depuis quelques années, arrive en 5e position de l'IPS le plus bas du département. Avec le collège de Gaillard (lui aussi en éducation prioritaire), il y a donc une poche de précarité dans l'agglomération d'Annemasse. Comme pour la taille des écoles, la question des IPS dépasse le seul territoire du réseau d'éducation prioritaire, mais doit être appréhendé à une échelle plus globale.


 

 

=> S'il s'agit ici d'un exemple ancré dans un contexte local, l'exemple a pour but de montrer que derrière le zonage en "éducation prioritaire", se cachent des réalités très différentes entre des R.E.P. de l'hyper-centralité francilienne, des R.E.P. dans les marges des grandes métropoles, des R.E.P. périurbaines, des R.E.P. rurales, des R.E.P. de hyper-ruralité. Et derrière ces réalités spatiales, se cachent les besoins en termes d'actions et de mises en place de dispositifs pour améliorer la réussite des élèves.

 

Ainsi, les données territoriales (par-delà mon oeil de géographe qui, évidemment, oriente ce billet) font partie des outils des coordonnateurs des réseaux d'éducation prioritaire, afin d'évaluer au mieux les besoins des acteurs du réseau (élèves et communauté éducative).

 

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