Enseigner les fonctions de l'espace

La notion de fonction de l'espace est transversale dans les programmes scolaires, du cycle 2 au lycée. En effet, elle permet de décrire et d'expliquer l'organisation de l'espace et les paysages. Les fonctions structurent l'espace concerné, dans la mesure où elles sont la traduction spatiale à la fois des usages de l'espace et des aménagements de l'espace.

"En géographie, une fonction est un type d'activité auquel un espace est dédié. Elle peut être décrétée par un pouvoir (une municipalité ou une intercommunalité délimite une zone résidentielle dans le zonage de son P.L.U. ou P.L.U.I.) ou découler de l'usage (une forêt ou une plage fréquentées par des touristes ont, de ce fait, une fonction touristique). Parmi celles les plus fréquemment rencontrées, on peut citer, sans que cette liste soit exhaustive, les fonctions : agricole, commerciale, industrielle, militaire, de protection de la nature, de service, résidentielle, de transport et de logistique... À ces fonctions banales ou tout au moins courantes, on peut ajouter des fonctions plus spécialisées, comme les fonctions métropolitaines supérieures." ("Fonctions de l'espace", Géoconfluences, février 2022).

S'il ne s'agit pas de cloisonner et de zoner l'espace (notamment en présentant progressivement aux élèves des espaces multifonctionnels), les fonctions de l'espace permettent aux élèves de s'approprier progressivement les enjeux de la dimension spatiale des sociétés, notamment en termes d'aménagements.

Si la notion traverse les programmes, elle n'est pas toujours définie, et reste le plus souvent implicite pour les élèves. Elle fait partie de ces notions de la géographie qui restent souvent implicites, les enseignants pensant qu'elle sera définie plus tard dans le cursus de l'élève ou qu'elle l'a déjà été. Elle nécessite en réalité d'être construite et complexifiée progressivement, avant de nuancer son recours comme élément d'analyse en fin de lycée (pour ne pas rester sur une grille de lecture "zonée" et affiner l'analyse). Elle fait aussi partie des notions pour lesquelles les manuels scolaires ne proposent pas de définition. Elle est donc posée comme une "évidence", et cet implicite peut produire des malentendus cognitifs chez les élèves.

UNE INITIATION À LA NOTION DE FONCTION DE L'ESPACE EN CYCLE 2 :

En cycle 2, les élèves sont directement confrontés à la question des fonctions de l'espace : "Un espace organisé est un espace qui comporte des aménagements permettant aux hommes d’habiter, c’est-à-dire d’exercer les fonctions qui leur sont nécessaires. Ces fonctions peuvent être déclinées de manière plus ou moins complexe. On peut en déterminer cinq, que les élèves vont comprendre car elles sont en lien avec leurs propres pratiques : se loger ; circuler ; consommer ; se divertir ; travailler." (Fiche Éduscol "Qu'est-ce qu'un espace organisé ? Introduction", mars 2016).

En suivant les préconisations du programme, on peut amener les élèves à trouver, à partir de photographies, les usages principaux de différents espaces à partir de ces cinq actions humaines. Cela oeyt être l'occasion d'une première initiation aux mots de la géographie permettant d'identifier un type d'espace à sa fonction (ex : quartier résidentiel, quartier des affaires, zone industrielle, etc.). Une activité possible serait de faire associer aux élèves des étiquettes avec le nom d'un type d'espace chacune, des photographies correspondant à ces types d'espaces (plusieurs photographies par étiquette) et enfin des pictogrammes permettant de généraliser et de confronter les élèves à ce qui caractérise spécifiquement chaque type d'espace (ex : les logements majoritaires dans les quartiers résidentiels). Les pictogrammes peuvent alors servir autant pour la trace écrite que pour des exercices de consolidation, à travers l'utilisation de flashcards par exemple.

=> La notion de fonction de l'espace est alors définie comme l'usage principal de cet espace.

UNE CONSOLIDATION DE LA NOTION DE FONCTION DE L'ESPACE EN CYCLE 3 :

En cycle 3, les fonctions de l'espace structurent le programme du début de cycle : en CM1, les trois thèmes questionnent quatre des cinq verbes qui structurent le questionnement du cycle 2 : se loger, travailler, avoir des loisirs ("se divertir" en cycle 2) et consommer.  Le dernier verbe, "circuler" est abordé en cycle 3 dans le thème "se déplacer". Les cinq actions humaines sont ici abordées comme l'angle qui permet de comprendre l'organisation de l'espace. Deux autres actions humaines sont ajoutées : "se cultiver" (CM1) et "communiquer" (CM2).

Plusieurs notions peuvent structurer la problématisation du programme de géographie au cycle 3 : l'organisation de l'espace, les fonctions de l'espace, l'aménagement de l'espace (en tant que transformation de l'espace par les êtres humains pour s'y adapter et y implanter des usages spécifiques qui correspondent à leurs besoins) et l'habiter :

• thème 1 en CM1 : quelles sont les fonctions de mon espace proche et comment structurent-elles l'espace ?
• thèmes 2 et 3 en CM1 et thèmes 1 et 2 en CM2 : comment chaque fonction de l'espace structure-t-elle l'organisation de l'espace ?
• thème 3 en CM2 : comment l'utilisation de l'espace par les êtres humains se traduit-elle en termes d'aménagements ?
• thèmes 1, 2 et 3 de 6e : comment les êtres humains s'adaptent-ils à chaque espace en le transformant ?
• thème 4 en 6e : comment l'inégale répartition des êtres humains dans le monde se traduit-elle par des organisations de l'espace différentes ?

Les fonctions de l'espace sont alors étudiés à la fois pour elles-mêmes en tant que structurantes d'organisations spatiales spécifiques, et au croisement d'autres notions en tant qu'éléments explicatifs des aménagements de l'espace.

=> La notion de fonction de l'espace est alors définie comme le type d'activité auquel est dédié cet espace. Elle est mobilisée pour montrer la structuration de l'espace et ses conséquences sur l'habiter dans différents types d'espaces.

UN APPROFONDISSEMENT ET UNE COMPLEXIFICATION DE LA NOTION DE FONCTIONS DE L'ESPACE EN CYCLE 4 :

En cycle 4, il est possible d'approfondir la notion de fonctions de l'espace en en montrant davantage la complexité, notamment en abordant la notion de multifonctionnalité. En classe de 4e, la notion de fonctions de l'espace est confrontée à l'intégration des territoires dans la mondialisation. Elle est particulièrement prégnante dans le thème consacré à l'urbanisation du monde (thème 1), d'une part en tant qu'élément structurant de l'espace urbain (sous-thème "Espaces et paysages de l'urbanisation : géographie des centres et des périphéries") et, d'autre part, en tant qu'élément discriminant pour déterminer le degré d'intégration des territoires urbains dans la mondialisation (sous-thème "Des villes inégalement connectées aux réseaux de mondialisation").

En classe de 3e, la question des fonctions de l'espace structure le premier thème "Dynamiques territoriales de la France contemporaine", en confrontant la notion de densité et la notion de fonctions de l'espace (fonctions urbaines, fonctions productives, fonctions des espaces de faible densité).

"Un même espace peut être le support de plusieurs fonctions. On parle alors de multifonctionnalité, ce qui sous-entend généralement que les fonctions sont complémentaires voire qu'elles dégagent des effets d'entraînement. Cela n'exclue pas les conflits. Par exemple un espace rural multifonctionnel peut être à la fois agricole, résidentiel, industriel, naturel et touristique. La protection de la nature et les paysages agricoles bénéficient au tourisme, l'industrie locale à l'agriculture et à l'emploi des résidents, mais tourisme et industrie peuvent entrer en conflit" ("Fonctions de l'espace", Géoconfluences, février 2022).

Le cycle 4 permet d'introduire la notion de multifonctionnalité de l'espace, et ses conséquences, qu'elles soient de l'ordre de la complémentarité ou de l'ordre du conflit (ce qui permet également d'introduire la notion de conflits d'usages). En classe de 4e, l'étude de la mondialisation amène les élèves à confronter des territoires très intégrés à la mondialisation qui cumulent les fonctions avec complémentarité, et les territoires marginalisés dans la mondialisation qui peuvent être le support d'une monoactivité ou de fonctions à l'origine de conflits d'usages. Cette analyse se poursuit en classe de 3e, à l'échelle de la France et de l'Union européenne.

=> Les fonctions de l'espace sont questionnées par le prisme de la multifonctionnalité, et la complémentarité ou de la concurrence des fonctions dans les territoires. La notion se complexifie en introduisant l'analyse de situations où les fonctions coexistent dans un même territoire.

UNE FOCALE SUR LA MULTIFONCTIONNALITÉ AU LYCÉE :

"La multifonctionnalité se dit d’un espace dans lequel différentes fonctions se côtoient, c’est-à-dire différentes modalités d’habiter l’espace et d’y produire. Le contraire de la multifonctionnalité est la spécialisation ou la mono-activité, comme pour certains espaces marqués par une monoculture (bassin céréalier) ou une rente techno-industrielle comme dans le cas des « municipalités du nucléaire » (Meyer, 2017) en France." ("Multifonctionnalité", Géoconfluences, janvier 2019).

En lycée professionnel, les fonctions sont reprises dans de nombreux thèmes pour caractériser des espaces et qualifier leur intégration dans la mondialisation. Par exemple, en C.A.P., le thème 2, qui porte sur "Espaces urbains : acteurs et enjeux", reprend en filigrane la notion de fonctions de l'espace pour décrire, différencier et expliquer les différents territoires urbains. C'est également le cas dans le thème 1 en classe de première professionnelle ("La recomposition du territoire urbain en France : métropolisation et périurbanisation"), avec une insistance plus marquée sur la "rencontre" entre plusieurs fonctions, notamment autour de l'étude des conflits d'usage (ce programme faisant ainsi la continuité de celui de la classe de 3e). L'intégration des territoires dans la mondialisation en classe de terminale professionnelle peut également être appréhendée par les fonctions de l'espace comme "angle d'approche" : ainsi, certaines activités sont porteuses de dynamiques économiques qui s'intègrent dans la mondialisation et dessinent des paysages qui sont à la fois le facteur et la conséquence de la mondialisation (par exemple la haute technologie avec le centre spatial de Kourou ou les loisirs avec Disneyland Paris).

En lycée général et technologique, l'accent peut davantage être mis sur la multifonctionnalité, permettant de dépasser un zonage simple qui pourrait devenir simpliste si l'on réduisait toute dynamique spatiale à la juxtaposition de fonctions. La question de la multifonctionnalité est prioritairement abordée dans le thème sur les espaces ruraux ("Les espaces ruraux : multifonctionnalité ou fragmentation ?" en classe de première générale et "Les espaces ruraux : une multifonctionnalité toujours plus marquée" en classe de première technologique). Néanmoins, ce thème n'est pas le seul dans lequel on peut faire entrer la complexité géographique par la multifonctionnalité des territoires, à plusieurs échelles. L'étude de la métropolisation ("La métropolisation : un processus mondial différencié" en classe de première générale et en classe de première technologique) et l'étude des acteurs de la production à l'échelle mondiale ("Une diversification des espaces et des acteurs de la production" en classe de première générale et en classe de première technologique) permettent de compléter cette approche, par des questionnements amenant les élèves à réfléchir sur la compétitivité des territoires par certaines fonctions et la complémentarité de certaines fonctions :

• quelles sont les limites de penser l'espace par sa fonction majeure ?
• pourquoi certains territoires se diversifient-ils ?
• pourquoi certains territoires sont-ils compétitifs par les fonctions qu'ils proposent ?
• pourquoi la multifonctionnalité peut-elle être facteur de conflits d'usages ?
• quels aménagements et quels acteurs pour la multifonctionnalité des territoires ?
• quels risques pour les territoires qui reposent sur une spécialisation fonctionnelle (mono-activité) ?

Cette approche permet d'attirer l'attention des lycéens sur les aménagements qu'ils peuvent observer autour d'eux : si l'urbanisme et l'aménagement du territoire de la seconde partie du XXe siècle sont marqués par un principe de zonage découpant l'espace en territoires fonctionnels très nets qui s'observent encore dans de nombreuses parties des villes françaises, les aménagements très récents et en cours sont, quant à eux, marqués par l'imbrication des fonctions : par exemple, un quartier résidentiel, neuf ou réaménagé, n'est plus pensé sans intégrer des espaces verts, des espaces de loisirs et des espaces de services pour ses habitants. Cela marque une rupture profonde avec des quartiers résidentiels plus anciens et non réaménagés où les traces du principe de zonage sont encore très visibles. L'approche par la fonction dominante ne permet pas de distinguer, en elle-même, cette profonde transformation de la conception de l'aménagement du territoire, mais elle peut être l'ouverture à une initiation des élèves de ces modifications, en les questionnant sur les "degrés" de multifonctionnalité de ces territoires.

EN DÉFINITIVE : UN BREF PLAIDOYER POUR UNE APPROCHE PROGRESSIVE DU CYCLE 2 AU LYCÉE :

Si l'entrée par les fonctions de l'espace peut réduire la complexité géographique, elle peut être un facilitateur pour comprendre progressivement les dynamiques spatiales dans les cycles 2, 3 et 4, avant d'être questionnée de manière plus critique, par la multifonctionnalité des territoires, au lycée. En ce sens, il ne s'agit pas de réduire les dynamiques spatiales à un principe de zonage strict, mais d'amener progressivement les élèves à comprendre les usages de l'espace, leur complémentarité ou leur conflictualité, leur compétitivité ou leur fragilité. Les fonctions de l'espace sont donc un des éléments permettant de qualifier les territoires, particulièrement mis en avant dans les croquis de paysage.