Enseigner la diversité des migrations en géographie

 

J'ai récemment lu, sur des réseaux sociaux différents, à diverses reprises, des emplois inexacts du terme de "migrations" dans les cours de géographie. On croise encore très souvent la malheureuse expression de "migrations pendulaires" (qui désigne en réalité des déplacements quotidiens, qui n'ont rien à voir avec le fait de changer de domicile), bien qu'elle tende fortement à disparaître (au profit d'expressions adéquates : "déplacements pendulaires", "mobilités pendulaires", ou mieux encore "mobilités quotidiennes" qui présentent le grand avantage d'expliciter la temporalité de ces déplacements).

 

De manière plus étonnante (j'ai du moins été davantage surprise de cet emploi, car après une petite recherche en ligne, j'ai découvert que cette expression était très courante, notamment sur les sites de services parascolaires, et de manière bien plus gênante - mais heureusement rare - sur des sites académiques), j'ai croisé également l'expression de "migrations touristiques", présentées comme l'une des formes de migrations, pour enseigner la diversité des migrations. Or, les mobilités touristiques ne peuvent être considérées comme l'une des variantes des migrations, c'est même une association contradictoire de deux termes géographiques.

 

Cette confusion est peut-être entretenue, indirectement, par les regroupements effectués dans les programmes scolaires. En effet, dans de nombreux thèmes, il s'agit d'étudier ensemble les différents types de déplacements :

La cohérence dans les programmes scolaires provient de la diversité des mobilités. Toutefois, il est important de ne pas réduire les mobilités aux seules migrations, et de ne pas considérer toute mobilité comme une migration. La fiche Éduscol pour le programme de CM2 fixe bien le vocabulaire pour l'ensemble du cursus scolaire : "Les géographes réservent la notion de migration aux déplacements qui débouchent sur une installation durable dans un autre lieu". Il ne peut donc être question de "migrations pendulaires" (le programme de CM2, pour poursuivre l'exemple, évoque de manière très explicite et non ambiguë pour les élèves les "mobilités quotidiennes") ou de "migrations touristiques".

 

 

L'étude de la diversité des migrations ne doit donc pas faire aboutir à une définition globalisante de "migrations" (confondant les termes "migrations" et "déplacements"). Avoir une définition précise permet de révéler la diversité des migrations. En effet, les migrations sont plurielles du fait de plusieurs critères :

 

  • LES FACTEURS DE MIGRATIONS : pourquoi part-on ?
    • fuir une situation de danger :
      • une guerre => migrants de guerre
      • une situation de violences liées à des discriminations (ex : États dans lesquels l'homosexualité est condamnée pénalement, parfois en légitimant la violence physique) ou à des persécutions politiques => migrants politiques
      • les conséquences du changement global => migrants climatiques
  • trouver de meilleures conditions de vie, dont un meilleur travail : migrants économiques
    • Lorsque les migrants partent des pays des "Suds" vers les pays des "Nords", cette migration porte généralement son nom : migration économique.
    • Si ces migrants sont fortement diplômés, cette migration est nommée "fuite des cerveaux" (brain drain). L'expression a été dans un premier temps surtout employée pour les migrations "Suds" -> "Nords", mais tend de plus en plus à décrire toute situation où un pays voit de nombreux diplômés de haut niveau (bac + 5 ou plus) quitter son territoire pour travailler ailleurs.
    • Lorsque les migrants sont des individus très riches des pays des "Suds" vers les pays des "Nords" (par exemple, les nombreux diplomates aux alentours de Genève), les individus concernés et les médias n'évoquent pas le terme de "migrants".
    • De même, lorsque les migrants sont des individus des pays des "Nords" qui se rendent ailleurs (dans d'autres pays des "Nords" ou dans des pays des "Suds"), les individus concernés et les médias n'évoquent pas le terme de migrants, lui préférant celui d' "expatriés".

      => Pourtant, dans les cas de migrants partant des pays des "Nords", il s'agit de trouver des lieux aux conditions de vie agréables et/ou en lien avec un emploi (par exemple, pour les institutions internationales à Genève ou pour les emplois liés à la haute-technologie en Californie). Le facteur de migrations ne diffère pas du premier cas (des migrants des "Suds" vers les "Nords"), mais il est différemment apprécié par les sociétés d'accueil, ce qui se traduit par l'emploi d'un vocable différent (notamment dans les médias).

  • suivre un projet de vie : et notamment :
    • les migrations des retraités des pays des "Nords" vers des lieux de vie considérés comme "paradisiaques" pour ce temps après la vie active,
    • les migrations d'individus nés dans des pays des "Nords" rejoignant des organisations humanitaires, des projets d'aides aux populations, des projets éco-responsables, etc. dans des pays des "Suds",
    • les migrations liées à des rencontres amoureuses qui font quitter son lieu de vie pour suivre/rejoindre son conjoint.

  • LES MODALITÉS DE MIGRATIONS : comment part-on ?
    • dans l'urgence : les migrations dans l'urgence se font sans préparation ni pour le trajet, ni pour le lieu d'arrivée => ce sont des migrations subies (le plus souvent face à une violence extrême comme une guerre), qui se font dans la très grande majorité des cas de proche en proche (les migrations de longue distance demandant des ressources - à la fois financières, mais aussi humaines - pour le trajet comme pour l'accueil) ;
    • avec préparation avec peu de moyens : ces migrations, même si elles sont préparées, sont contraintes par les faibles moyens, que ce soit pendant le trajet ou dans l'espace d'arrivée ; c'est notamment le cas des migrations clandestines (c'est-à-dire n'utilisant pas les moyens légaux d'entrée dans les territoires traversés et/ou les territoires d'accueil).
    • avec préparation avec des moyens élevés : ces migrations sont anticipées et bien vécues : le transport et l'accueil se font dans de bonnes conditions, le migrant disposant de ressources financières et humaines.

      => Les modalités des migrations marquent le vécu migratoire : de la migration subie à la migration choisie, les migrations se distinguent les unes des autres par les émotions ressenties par les migrants dans leur parcours migratoire comme dans l'espace d'arrivée.

  • LES CONSÉQUENCES DES MIGRATIONS : où et comment est-on accueilli dans les espaces d'arrivée ?)
    • une intégration invisible : c'est en particulier le cas des migrants qui se vivent comme "expatriés", c'est-à-dire qui ne se vivent pas comme migrants : leur intégration se fait dans des espaces de vie ordinaires, en fonction de leur niveau de vie (comme pour tous les autres habitants), sans mise à l'écart visible dans le paysage ;
    • une intégration visible : l'accueil se fait de manière contradictoire : les migrants sont inclus dans la société d'accueil, mais les lieux d'habitation relèvent d'une mise à distance communautaire, qui témoigne, dans les pratiques spatiales comme dans le paysage, de l'origine des populations installées sur le territoire. C'est notamment le cas des populations d'origine asiatique installées dans les chinatowns des villes nord-américaines, quartiers communautaires qui rendent visibles la migration.
    • un accueil d'urgence éphémère : dans ce cas, l'accueil n'est pas fait pour installer durablement les populations migrantes, mais pour répondre à une situation urgente de danger (guerre, conséquences du changement global). Les lieux de l'accueil se font en dehors des lieux d'habitations "ordinaires", et sont construits ex-nihilo. L'accueil est alors marqué par la forme du camp, qui enferme les mobilités de ces migrants à l'intérieur de la structure d'accueil.
    • un rejet : les migrations perçues comme "indésirables" dans les territoires d'arrivée produisent des lieux du rejet, tels que les centres de rétention administrative en France (C.R.A.) ou les établissements de détention administrative en Suisse. Les migrants sont alors dans une situation d'enfermement qui relèvent de l'emprisonnement, leurs mobilités étant totalement restreintes et contrôlées.

 

 

IDÉES À RETENIR POUR CONSTRUIRE SON COURS :

=> Les migrations sont toujours un déplacement qui implique un changement de lieu de vie (contrairement aux mobilités quotidiennes et aux mobilités touristiques, qui ne peuvent être considérées comme des formes de migrations).

 

=> Les migrations sont plurielles du fait des facteurs de migrations, des modalités de la migration et des conséquences de la migration dans les territoires d'accueil.

 

=> Malgré un traitement médiatique et politique restreignant les migrations aux seuls flux "Suds" -> "Nords" (environ 1/3 des flux migratoires mondiaux), les migrations "Nords" -> "Nords" (environ 27 %) et les migrations "Suds" -> "Suds" (environ 1/3) représentent ensemble environ 60 % des flux migratoires mondiaux.

 

© Bénédicte TRATNJEK, août 2022.

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