Souvent défini, à tort, comme un espace illégal, le bidonville n'est pas nécessairement un espace illicite, hors de la loi. Cela peut être l'une de ses caractéristiques, dans certains contextes spatiaux, mais cet aspect ne le définit pas. De même, le bidonville est souvent défini comme un espace construit avec des matériaux de récupération, faisant ainsi référence à la première occurence de ce mot dans la langue française, qui décrivait, en 1953, à propos de Casablanca, un quartier de "maisons en bidons" [1]. Néanmoins, cette étape de la bidonvillisation ne rend pas compte de l'inscription temporelle du bidonville dans les villes : nombreux d'entre eux se sont "endurcis", "emmurés", sans qu'ils n'en perdent leur statut de bidonville.
Le bidonville (en français, ou favela ou invasao au Brésil, gecekondu en Turquie, bastee ou slum en Inde, etc. : voir ci-dessous) est, effectivement, un territoire d'habitat informel, c'est-à-dire un territoire d'habitat spontané et produit hors de la présence de l'État. Cette absence de l'État se traduit dans ce territoire par une absence de services urbains financés par les services publics (arrivée de l'eau courante, éclairage public, tout-à-l'égout, etc.). Elle se traduit également dans l'absence de titres de propriété pour les résidants de cet espace informel, ce qui se traduit dans certains États (mais pas nécessairement) par un statut illégal de ces quartiers spontanés. Cette absence permet aux acteurs publics de décider unilatéralement de l'éradication des bidonvilles, dès que ce territoire devient un enjeu foncier ou paysager (ex : cacher la pauvreté dans l'organisation d'un méga-événement sportif qui attirera des touristes du monde entier, comme au Brésil pour la Coupe du monde de football en 2014).
Le bidonville n'est donc pas un terme qui caractérise tous les quartiers pauvres dans le monde, bien que des abus journalistiques tendent à recourir à ce terme pour désigner tout quartier pauvre dans les très grandes villes des pays des "Suds" (acception qui découle des premiers usages du terme en langue française, mais qui ne recouvre pas la réalité de la multiplicité des territoires de la pauvreté). Il n'est pas non plus un terme réservé aux quartiers où les habitations apparaissent en matériaux de récupération, ce qui nierait l'ancrage temporel de cet habitat informel dans les réalités urbaines. Raffaele Cattedra note ainsi que ces usages relèvent de "formules de stigmatisation", qui fait du terme "bidonville" le "paradigme d’un espace stigmatisé et stigmatisant" [1].
Pour faire repérer le bidonville à des élèves, il est donc important de les alerter sur la présence ou l'absence des services publics dans l'espace considéré. Une telle approche est pertinente auprès des élèves, qui peuvent appréhender ainsi la multiplicité des territoires de la pauvreté, mais aussi ne pas associer tout quartier pauvre dans les villes des "Suds" à des bidonvilles, qui serait perçue comme une "fatalité urbaine" pour ces territoires dans leur imaginaire. Si les contrastes paysagers sont un outil très efficace pour montrer l'ancrage des contrastes sociaux dans un territoire, ils ne doivent pas devenir un "cliché territorial" pour les élèves.
Ainsi, pour l'enseignant, le choix des études de cas d'une part, des documents apportés d'autre part doit permettre aux élèves de saisir la complexité géographique, mais il participe aussi à produire un imaginaire spatial qui peut être, indirectement, le terreau de stéréotypes territoriaux. C'est ce que l'on observe, par exemple, dans la représentation des paysages brésiliens dans les manuels scolaires, comme le notent Leonardo Moreira Ulhôa et Vânia Rúbia Farias Vlach (mais on pourrait avoir le même questionnement que ces auteurs sur d'autres études de cas, tout particulièrement dans le cas des pays des "Suds"). "Dans chaque société, les modèles culturels de l’époque et ses stéréotypes interfèrent fortement dans les représentations des paysages. [...] La commercialisation des photographies qui illustrent les manuels scolaires français se fait par l’intermédiaire d’agences, sur la base de leur qualité technique en vue de leur utilisation en salle de classe. En outre, l’on observe que dans le cas des représentations des paysages brésiliens, une préférence existe qui fait converger les images vers des lieux et des scènes qui en font un spectacle" [2]. Dès lors, il importe de bien penser la multiplicité des paysages de la pauvreté pour permettre aux élèves d'en appréhender la complexité. Comme le note le géographe Pascal Clerc, "ce que l’on dit du monde et ce que l’on montre, la façon dont on le fait, ce que l’on tait et ce que l’on cache font aussi partie de ce qui est en jeu pour une société. La géographie scolaire, comme l’histoire, a ses silences" [3].
Notes :
[1] CATTEDRA, Raffaele, 2006, "Bidonville : paradigme et réalité refoulée de la ville du XXe siècle", dans DEPAULE, Jean-Charles (dir.), 2006, Les mots de la stigmatisation urbaine, Éditions de la Maison des sciences de l’homme / Éditions UNESCO, collection Les mots de la ville, Paris, pp. 123-163.
[2] ULHÔA, Leonardo Moreira et Vânia Vânia Rúbia Farias VLACH, 2012, "La problématique de la représentation des paysages brésiliens dans les manuels scolaires français", Confins, n°14.
[3] CLERC, Pascal, 2002, La culture scolaire en géographie : le monde dans la classe, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, p. 71.
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